Caractéristiques de l'agression rénale chez les patients Covid
Characterization of acute kidney injury in critically ill patients with severe coronavirus disease 2019.
Rubin S, Orieux A, Prevel R, Garric A, Bats ML, Dabernat S, Camou F, Guisset O, Issa N, Mourissoux G, Dewitte A, Joannes-Boyau O, Fleureau C, Rozé H, Carrié C, Petit L, Clouzeau B, Sazio C, Bui HN, Pillet O, Rigothier C, Vargas F, Combe C, Gruson D et al.
Clinical kidney journal, mai 2020, volume 13, pages 354-361
Commentaire
Prérequis :
L’atteinte rénale est la deuxième atteinte d’organe dans le COVID-19 avec 15% des patients atteints. L’incidence en réanimation est mal connue (variant de 20 à 50% selon les études). Pourtant, elle pourrait être responsable d’un allongement de la durée d’hospitalisation et d’une surmortalité des patients. L’objectif de cette étude est d’évaluer l’incidence de l’atteinte rénale en réanimation et de caractériser cette atteinte.
Matériels et Méthodes :
4 unités de réanimation du CHU de Bordeaux entre le 3 Mars et le 14 Avril 2020. Inclusions : Patients majeurs avec une PCR COVID-19 positive ou une tomodensitométrie thoracique en faveur d’une pneumonie à SARS-COV 2 et des critères de sévérité respiratoire (P/F < 300 mmHg, O2 >/= 4L/min pour SpO2 > 94%). Exclusion de patients présentant une insuffisance rénale terminale pré-existantes.
Définitions utilisées dans l’étude :
- Insuffisance rénale aiguë (IRA) : selon la classification KDIGO, la créatininémie de base est celle à l’admission ou celle des 6 derniers mois si celle-ci est anormale. Le score KDIGO est établie sur la créatininémie la plus élevée du séjour ou la diurèse la plus faible.
- IRA résolutive : normalisation de la créatininémie (entre 1 et 1,25 x la créatininémie de base).
- IRA transitoire : diminution de la créatininémie de 50% ou normalisation en moins de 72h
- Événement rénal majeur : créatininémie > 200 µmol/l ou épuration extra-rénale ou décès
Des prélèvements sanguins et urinaires sont réalisés lors de l’admission, lors de l’apparition d’une insuffisance rénale aiguë ou de son aggravation.
Résultats :
380 patients positifs au COVID-19 hospitalisés au CHU de Bordeaux. 45 patients + 26 patients transférés (régions Ile-de-France, Grand Est…). Ils retrouvent 77% d’hommes, d’âge médian de 61 ans. La durée médiane de suivi est de 17 jours avec une durée médiane d’hospitalisation de 10 jours, probablement expliqué par une proportion élevée de patients non intubés (16/71). Quatre patients ont un antécédent d’insuffisance rénale chronique. La créatininémie moyenne à l’admission est de 68,8 µl/min. 11% des patients sont en insuffisance rénale aiguë à l’admission. 80% développent une insuffisance rénale aiguë au cours de leur séjour. La répartition KDIGO de cette insuffisance rénale est homogène avec 35% de KDIGO1, 35% de KDIGO 2 et 30% de KDIGO3. 18% des patients ont nécessité une épuration extra-rénale. Certains critères semblent associés à l’insuffisance rénale aiguë, notamment le BMI élevé (p = 0.04), le SOFA élevé (p = 0.006) et le rapport PaO2/FiO2 bas (p = 0.04). 7% des insuffisances rénales aiguë étaient transitoires, 93% étaient persistantes. Le profil urinaire des insuffisances rénales aiguës persistantes permet de mettre en lumière un profil urinaire retrouvant une protéinurie à 0.8 g/24h avec un rapport albuminurie/créatinurie < 50% orientant vers une néphropathie tubulaire ou interstitielle. Une leucocyturie et une hématurie sont retrouvées mais sont d’interprétation délicate car les patients sont équipés d’une sonde urinaire pendant la totalité de leur séjour. Enfin, 33% des patients ont rencontré le critère d’événement rénal majeur (EER, décès, créatininémie > 200 µmol/l). 64% des patients ont récupéré une fonction rénale normale à J21.
Discussion :
Le profil urinaire oriente vers une néphropathie tubulaire ou interstitielle. La néphropathie tubulaire la plus fréquente est la nécrose tubulaire chronique, cependant, peu de patients ont reçu des catécholamines. On note peu d’épisode de choc septique parmi les patients et ils ont reçu peu de produits néphrotoxiques (produit de contraste iodé notamment). Une piste possible est une néphropathie tubulaire spécifique au COVID-19. Thèse argumentée par une physiopathologie favorable notamment par le biais des récepteurs TMPRSS2 et ACE2 qui permettent l’entrée du virus dans les cellules et qui sont très représentés sur les tubules.
Les points fort de l’étude :
Etude prospective sur quatre unités de réanimation permettant une évaluation épidémiologique de l’insuffisance rénale aiguë en réanimation. Bonne validité externe avec des résultats qui sont concordant avec ceux retrouvés dans d’autres études épidémiologiques et dans des séries autopsiques mettant en évidence des atteintes tubulaires similaires.
Les points faibles :
Etude mono centrique et n’incluant qu’un nombre limité de patients. Elle n’offre qu’un suivi à court terme (médiane à 17 jours). Le critère composite d’événement rénal majeur (MAKE) ne permet pas d’améliorer la caractérisation de l’atteinte rénale (le décès étant difficile à relier à l’atteinte rénale). L’étude n’apporte pas d’information quant à l’impact de l’insuffisance rénale sur la durée de séjour ou la mortalité. L’étude n’apporte pas d’information sur les profils urinaires en sortie de réanimation ce qui aurait permis d’évaluer la persistance d’une néphropathie malgré une amélioration clinique.
Abstract
Background: Coronavirus disease 2019 (COVID-19)-associated acute kidney injury (AKI) frequency, severity and characterization in critically ill patients has not been reported.
Methods: Single-centre cohort performed from 3 March 2020 to 14 April 2020 in four intensive care units in Bordeaux University Hospital, France. All patients with COVID-19 and pulmonary severity criteria were included. AKI was defined using Kidney Disease: Improving Global Outcomes (KDIGO) criteria. A systematic urinary analysis was performed. The incidence, severity, clinical presentation, biological characterization (transient versus persistent AKI; proteinuria, haematuria and glycosuria) and short-term outcomes were evaluated.
Results: Seventy-one patients were included, with basal serum creatinine (SCr) of 69 ± 21 µmol/L. At admission, AKI was present in 8/71 (11%) patients. Median [interquartile range (IQR)] follow-up was 17 (12-23) days. AKI developed in a total of 57/71 (80%) patients, with 35% Stage 1, 35% Stage 2 and 30% Stage 3 AKI; 10/57 (18%) required renal replacement therapy (RRT). Transient AKI was present in only 4/55 (7%) patients and persistent AKI was observed in 51/55 (93%). Patients with persistent AKI developed a median (IQR) urine protein/creatinine of 82 (54-140) (mg/mmol) with an albuminuria/proteinuria ratio of 0.23 ± 20, indicating predominant tubulointerstitial injury. Only two (4%) patients had glycosuria. At Day 7 after onset of AKI, six (11%) patients remained dependent on RRT, nine (16%) had SCr >200 µmol/L and four (7%) had died. Day 7 and Day 14 renal recovery occurred in 28% and 52%, respectively.
Conclusion: Severe COVID-19-associated AKI is frequent, persistent, severe and characterized by an almost exclusive tubulointerstitial injury without glycosuria.