Commentaire de bibliographies du service

Association entre durée et type d'antibioprophylaxie chirurgicale et les effets secondaires associés à la prescription d'antibiotiques

Association of Duration and Type of Surgical Prophylaxis With Antimicrobial-Associated Adverse Events.

Branch-Elliman W, O'Brien W, Strymish J, Itani K, Wyatt C, Gupta K

JAMA surgery, 1 juillet 2019, volume 154, pages 590-598

Commentaire, Abstract

Commentaire

Par Drs Maxime LACROIX et Samy FIGUEIREDO

Introduction

Les recommandations concernant l’antibioprophylaxie (ATB) réalisée en périopératoire de chirurgie sont les suivantes : initiation dans l’heure précédent l’incision, arrêt le plus souvent dès la fermeture cutanée, indications très rares à poursuivre pendant 24h et très exceptionnellement pendant 48h (exemple : en chirurgie cardiaque dans les recommandations américaines, avec un niveau de preuve faible). L’allongement de la durée de l’ATB ne permet généralement pas de diminuer l’incidence des infections de site opératoire (ISO) et pourrait être associé à une augmentation de la morbidité. Le but de cette étude était d’évaluer l’association entre l’ATB (durée, type) et la survenue d’ISO, d’une insuffisance rénale aigue (IRA) et d’infections à Clostridium difficile.

Matériels et méthodes

Etude rétrospective, de cohorte nationale multicentrique, à partir de la base de données des vétérans américains ayant bénéficié d’une intervention de chirurgie cardiaque, colorectale, vasculaire ou de pose de prothèse orthopédique entre le 01/10/2008 et le 30/09/2013. Les critères de jugement étaient la survenue de : ISO à J30 (diagnostic clinique), IRA à J7 (diagnostic clinique ou élévation de la créatininémie correspondant au stade KDIGO 1) et infection à C. difficile à J90 (diagnostic confirmé biologiquement). Les risques de survenue de ces évènements ont été analysés par régression logistique en fonction de la durée et du type d’ATB, en ajustant sur les facteurs confondants suivants : âge, genre, ethnie, tabagisme, diabète, score ASA, colonisation à SARM, prise d’AINS, d’IPP ou de mupirocine, type et durée d’anesthésie, durée de circulation extra-corporelle (CEC) et nécessité de transfusion peropératoire.

Résultats

Au total, les données de 79 058 patients (109 établissements différents) ont été recueillies et analysées. Les patients étaient à 96% des hommes, d’âge moyen 64 ans et ont principalement bénéficié de chirurgie orthopédique prothétique (49%), cardiaque (27%) ou colorectale (14%). L’ATB était principalement constituée de β-lactamines (69%) ou vancomycine (25%), avec une durée médiane de 18,5 heures après fermeture cutanée. Après ajustement sur les facteurs confondants déterminés a priori, l’allongement de la durée d’ATB n’était pas associé à une diminution de la survenue d’ISO. En chirurgie cardiaque uniquement, une ATB par vancomycine (seule ou en combinaison avec une autre molécule) était associée à une diminution du risque d’ISO en comparaison à l’utilisation de β-lactamine (odds ratio ajusté [ORa] = 0.73; IC95% : 0.6-0.9). La durée de l’ATB était indépendamment associée à une augmentation des risques de survenue d’IRA et d’infections à C. difficile. Chaque jour d’ATB supplémentaire était associé une augmentation supplémentaire du risque d’IRA et d’infections à C. difficile : l’ORa d’IRA passait de 1.3 (1.2-1.4) pour une ATB poursuivie entre 24 et 48h à 1.8 (1.3-2.5) pour une ATB≥ 72h ; l’ORa d’infection à C. difficilepassait de 1.1 (NS) pour une ATB poursuivie entre 24 et 48h à 3.7 (2.4-5.6) pour une ATB≥ 72h. Le type d’ATB était aussi indépendamment associé à une augmentation des risques de survenue d’IRA (avec la vancomycine seule ou en association avec les aminosides) et d’infections à C. difficile (avec la clindamycine ou les fluoroquinolones). L’association entre vancomycine et IRA était observée également chez les patients non colonisés à SARM. Le risque d’IRA était supérieur avec une combinaison d’antibiotiques vs une monothérapie.

Discussion

Les forces

  • Effectif important : environ 80 000 patients, >100 centres 
  • Cohorte adaptée pour observer des événements peu fréquents (ISO et infections à C. difficile). Difficile d’envisager un essai randomisé de cette ampleur.
  • Thématique importante concernant une intervention (l’ATB) réalisée pluri-quotidiennement par chaque anesthésiste-réanimateur. Les chirurgies étudiées sont fréquentes.
  • Ajustements sur de nombreux facteurs de confusion 
  • Résultats en accord avec d’autres données de la littérature montrant une augmentation importante des effets indésirables d’une ATB injustement allongée, sans bénéfice
  • Journal de rang A

Les limites

  • Etude rétrospective (Niveau 4 / Grade C de recommandations) 
  • Généralisation des résultats difficile car la population étudiée est particulière : (vétérans américains donc quasi-exclusivement masculins, âgés et avec de nombreuses comorbidités). Population étudiée = 2008 à 2013 : changements de pratiques depuis ? 
  • Données manquantes concernant l’ATB : quelles étaient les indications de l’ATB prolongée ? quelles étaient les posologies utilisées ? quel timing d’administration de l’ATB ?
  • Incidence des ISO mesurées à J30 y compris pour les chirurgies orthopédiques prothétiques dont le suivi recommandé est un an.
  • Quid des autres déterminants de la survenue d’ISO : préparation cutanée de l’opéré ? antisepsie ? durées opératoires ? Nombre important d’ISO après chirurgie colorectale (14%).
  • Evaluation de la survenue d’IRA discutable : critère de créatininémie seulement, non évaluable chez 9% de la cohorte, quid des autres déterminants de la survenue d’IRA (gestion hémodynamique,…)

Conclusion

Au sein de la population étudiée, une durée prolongée d’ATB n’était pas associée à une diminution de la survenue d’ISO à J30, mais était associée à une augmentation, proportionnelle à la durée de l’ATB, des risques d’IRA à J7 et d’infection à C. difficile à J90. En antibioprophylaxie comme en antibiothérapie curative, chaque jour et chaque dose comptent.

Abstract

Importance: The benefits of antimicrobial prophylaxis are limited to the first 24 hours postoperatively. Little is known about the harms associated with continuing antimicrobial prophylaxis after skin closure.

Objective: To characterize the association of type and duration of prophylaxis with surgical site infection (SSI), acute kidney injury (AKI), and Clostridium difficile infection.

Design, Setting, and Participants: In this multicenter, national retrospective cohort study, all patients within the national Veterans Affairs health care system who underwent cardiac, orthopedic total joint replacement, colorectal, and vascular procedures and who received planned manual review by a trained nurse reviewer for type and duration of surgical prophylaxis and for SSI from October 1, 2008, to September 30, 2013, were included. Data were analyzed using multivariable logistic regression, with adjustments for covariates determined a priori to be associated with the outcomes of interest. Data were analyzed from December 2016 to December 2018.

Exposures: Duration of postoperative antimicrobial prophylaxis (<24 hours, 24-<48 hours, 48-<72 hours, and ≥72 hours).

Main Outcomes and Measures: Surgical site infection, AKI, and C difficile infection.

Results: Of the 79 058 included patients, 76 109 (96.3%) were men, and the mean (SD) age was 64.8 (9.4) years. Among 79 058 surgical procedures in the cohort, all had SSI and C difficile outcome data available; 71 344 (90.2%) had AKI outcome data. After stratification by type of surgery and adjustment for age, sex, race, diabetes, smoking, American Society of Anesthesiologists score greater than 2, methicillin-resistant Staphylococcus aureus colonization, mupirocin, type of prophylaxis, and facility factors, SSI was not associated with duration of prophylaxis. Adjusted odds of AKI increased with each additional day of prophylaxis (cardiac procedure: 24-<48 hours: adjusted odds ratio [aOR], 1.03; 95% CI, 0.95-1.12; 48-<72 hours: aOR, 1.22; 95% CI, 1.08-1.39; ≥72 hours: aOR, 1.82; 95% CI, 1.54-2.16; noncardiac procedure: 24-<48 hours: aOR, 1.31; 95% CI, 1.21-1.42; 48-<72 hours: aOR, 1.72; 95% CI, 1.47-2.01; ≥72 hours: aOR, 1.79; 95% CI, 1.27-2.53). The risk of postoperative C difficile infection demonstrated a similar duration-dependent association (24-<48 hours: aOR 1.08; 95% CI, 0.89-1.31; 48-<72 hours: aOR, 2.43; 95% CI, 1.80-3.27; ≥72 hours: aOR, 3.65; 95% CI, 2.40-5.53). The unadjusted numbers needed to harm for AKI after 24 to less than 48 hours, 48 to less than 72 hours, and 72 hours or more of postoperative prophylaxis were 9, 6, and 4, respectively; and 2000, 90, and 50 for C difficile infection, respectively. Vancomycin receipt was also a significant risk factor for AKI (cardiac procedure: aOR, 1.17; 95% CI, 1.10-1.25; noncardiac procedure: aOR, 1.21; 95% CI, 1.13-1.30).

Conclusions and Relevance: Increasing duration of antimicrobial prophylaxis was associated with higher odds of AKI and C difficile infection in a duration-dependent fashion; extended duration did not lead to additional SSI reduction. These findings highlight the notion that every day matters and suggest that stewardship efforts to limit duration of prophylaxis have the potential to reduce adverse events without increasing SSI.

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