Commentaire de bibliographies du service

Les dépistages nosocomiaux prédisent-ils les PAVM à entérobactéries BLSE ?

Semi-quantitative cultures of throat and rectal swabs are efficient tests to predict ESBL-Enterobacterales ventilator-associated pneumonia in mechanically ventilated ESBL carriers.

Andremont O, Armand-Lefevre L, Dupuis C, de Montmollin E, Ruckly S, Lucet JC, Smonig R, Magalhaes E, Ruppé E, Mourvillier B, Lebut J, Lermuzeaux M, Sonneville R, Bouadma L, Timsit JF, COMBACTE net consortium.

Intensive care medicine, mai 2020, volume 46, pages 1232-1242

Commentaire, Abstract

Commentaire

Par Nathalie TARRAF (DFMS) et Dr. Samy FIGUEIREDO

Introduction :

La pneumonie acquise sous ventilation mécanique (PAVM) est l’infection nosocomiale la plus fréquente en réanimation. Parmi les patients de réanimation, 5 à 25% sont porteurs d’entérobactéries productrices de béta-lactamase à spectre étendu (E-BLSE). Si le portage de E-BLSE est un facteur de risque majeur de développer une PAVM à E-BLSE, seulement 5 à 20% des patients porteurs de E-BLSE vont développer une PAVM à E-BLSE. Chez un patient colonisé à E-BLSE suspect d’avoir une PAVM à bacille à Gram négatif (BGN), la probabilité que ce BGN soit une E-BLSE est comprise entre 20 et 48%. Ceci conduit à une prescription large de carbapénème chez les patients porteurs de E-BLSE, alors que l’utilisation de cette classe d’antibiotique doit être limitée afin d’en préserver l’efficacité.

Le but de cette étude était de déterminer si des cultures semi-quantitatives du portage rectal et oropharyngé de E-BLSE étaient prédictives de l’implication de E-BLSE chez des patients qui développent une PAVM à BGN.

Matériels et Méthodes

Il s’agit d’une étude monocentrique, rétrospective, entre mai 2014 et mai 2017, ayant inclus tout patient sous ventilation mécanique (VM) pendant plus de 48h et dépisté porteur de E-BLSE sur écouvillon rectal ou oropharyngé (gorge), à l’admission en réanimation ou lors du dépistage hebdomadaire lors du séjour, avant le développement d’une PAVM à BGN. Parmi ces patients, ceux ayant développé une PAVM à E-BLSE ont été comparés à ceux ayant développé une PAVM à BGN non E-BLSE. Le dépistage de E-BLSE était réalisé par isolement sur milieu sélectif (ChromID® BLSE) en utilisant la technique des 4 quadrants qui permet de graduer semi-quantitativement la densité des colonies de E-BLSE, lorsqu’elles sont présentes, de « très rares » à « très nombreuses » (5 valeurs). Le test de tendance de Cochran-Armitage a été utilisé pour comparer les résultats des cultures semi-quantitatives des écouvillons rectaux et oropharyngés chez les patients ayant développé une PAVM à E-BLSE par rapport à ceux ayant développé une PAVM à BGN non E-BLSE.

Résultats

Parmi les 1604 patients ventilés admis en réanimation, 365 (21.5%) étaient porteurs de E-BLSE et 82 ont présenté un total de 107 épisodes de PAVM à BGN (après 13 jours de VM en médiane), dont 50 épisodes à E-BLSE. Aucun cas de PAVM à E-BLSE n’est survenu chez des patients non porteurs de E-BLSE. 

Les porteurs de Escherichia coli-BLSE développaient moins fréquemment une PAVM à E-BLSE (n = 13, 34%) par rapport aux porteurs d’autres E-BLSE (n = 32, 67%, p < 0.01). Une colonisation oropharyngée à E-BLSE était plus souvent observée chez les patients avec une PAVM à E-BLSE (39 (78%) vs. 12 (23%), p < 0.01) par rapport à une PAVM à BGN non E-BLSE, alors que c’était l’inverse chez les patients avec une colonisation rectale. En revanche, l’analyse semi-quantitative des 2 types d’écouvillons (oropharyngé et rectal) était significativement associée à une PAVM à E-BLSE par rapport à une PAVM à BGN non E-BLSE, avec des valeurs prédictives positive (VPP) et négative (VPN) de 78% et 82% pour l’écouvillon oropharyngé et de 53% et 88% pour l’écouvillon rectal. En analyse multivariée, le simple portage orpharyngé (aire sous la courbe (AUC) ROC = 0.84), l’analyse semi-quantitative du portage rectal (AUC = 0.77) et le fait d’être porteur d’une E-BLSE différente de E. coli restaient associés au fait de développer une PAVM à E-BLSE versus une PAVM à BGN non E-BLSE.

Discussion

Cette cohorte rétrospective et monocentrique de patients sous ventilation mécanique développant une PAVM à BGN montre que, chez les porteurs d’une E-BLSE différente de E. coli, une simple colonisation pharyngée à E-BLSE et une colonisation rectale abondante (mesurée semi-quantitativement) sont des facteurs de risque d’une PAVM à E-BLSE. La prescription de carbapénèmes en traitement probabiliste devant une suspicion de PAVM pourrait être réservée aux patients qui présenteraient ces critères, afin de préserver l’efficacité de ces molécules de dernier recours. Les points forts de l’étude sont : la pertinence de la question posée (problème clinique fréquent), la rigueur des définitions utilisées, la méthodologie assez simple (technique microbiologique accessible), et l’originalité de l’approche semi-quantitative (qui va au-delà du simple écouvillon positif ou négatif). Les limites sont : les caractères rétrospectif et monocentrique qui limitent les validités interne/externe de l’étude ; l’analyse semi-quantitative des écouvillons était-elle réalisée en routine dans le centre investigateur et l’est-elle dans d’autres centres ? les auteurs avaient-ils déjà l’habitude d’utiliser l’information semi-quantitative dans leur prise en charge (notamment pour la prescription de carbapénèmes) ?; quelle raison pour les durées d’antibiothérapie relativement longues, notamment pour les PAVM à BGN non E-BLSE (médiane (quartiles) : 9 (8-11) ? comment les auteurs intègrent-ils la gravité de l’état clinique du patient (choc septique, hypoxémie sévère ; données relativement peu détaillées dans l’étude) dans leur décision d’initier ou non un traitement par carbapénème chez un patient colonisé à E-BLSE ?

L’approche originale décrite dans cette étude mérite une validation par d’autres centres afin de savoir si cette stratégie permet, chez les patients colonisés à E-BLSE et suspects de PAVM à BGN, d’épargner les carbapénèmes sans perdre en efficacité et en sécurité pour le patient. 

Abstract

PURPOSE: In ICU patients with carriage of extended spectrum beta-lactamase producing Enterobacterales (ESBL-E) and suspected Gram-negative bacilli ventilator-associated pneumonia (GNB-VAP), the quantification of the rectal and throat ESBL-E carriage might predict the ESBL-E involvement in GNB-VAP. Our aim was to evaluate whether a semi-quantitative assessment of rectal/throat ESBL-E carriage can predict ESBL-E-associated VAP in medical ICU patients.

METHODS: From May 2014 to May 2017, all ESBL-E carriers had a semi-quantitative assessment of ESBL-E density in swabs cultures. For those who developed GNB-VAP (diagnosed using bronchoalveolar lavage or plugged telescopic catheter with significant quantitative culture), the last positive swab collected at least 48 h before GNB-VAP onset was selected. Clinical data were extracted from a prospectively collected database.

RESULTS: Among 365 ESBL-E carriers, 82 developed 107 episodes of GNB-VAP (ESBL-E VAP, n = 50; and non-ESBL-E GNB-VAP, n = 57) after 13 days of mechanical ventilation in median. Antimicrobials use before VAP onset was similar between groups. The last swabs were collected 5 days in median before VAP onset. ESBL-E. coli carriers developed ESBL-E VAP less frequently (n = 13, 34%) than others (n = 32, 67.3%, p < .01). Throat swab positivity (39 (78%) vs. 12 (23%), p < .01) was more frequent for ESBL-E VAP. ESBL-E VAP was associated with significantly higher ESBL-E density in rectal swabs. In multivariate models, non-E. coli ESBL-E carriage and rectal ESBL-E carriage density, or throat carriage, remained associated with ESBL-E VAP.

CONCLUSION: In carriers of ESBL-E other than E. coli, ESBL-E throat carriage or a high-density ESBL-E rectal carriage are risk factors of ESBL-E VAP in case of GNB-VAP.

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