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Soluté salé hypertonique en continu chez les traumatisés crâniens : 
Pronostic neurologique à 6 mois

Effect of Continuous Infusion of Hypertonic Saline vs Standard Care on 6-Month Neurological Outcomes in Patients With Traumatic Brain Injury: The COBI Randomized Clinical Trial.

Roquilly A, Moyer JD, Huet O, Lasocki S, Cohen B, Dahyot-Fizelier C, Chalard K, Seguin P, Jeantrelle C, Vermeersch V, Gaillard T, Cinotti R, Demeure Dit Latte D, Mahe PJ, Vourc'h M, Martin FP, Chopin A, Lerebourg C, Flet L, Chiffoleau A, Feuillet F et al.

JAMA, 25 mai 2021, volume 325, pages 2056-2066

Commentaire, Abstract

Commentaire

Par Drs Galla GARBAL et Aurore RODRIGUES

Contexte : 

Le nombre de patients avec traumatisme crânien dans le monde est évalué en 2016 à 69 millions par an. La mortalité de ces patients diminue, grâce à l’évolution des connaissances et des thérapeutiques, mais en parallèle est observée une augmentation de l’espérance de vie avec handicap à distance du traumatisme. Dans ce contexte a été évalué au cours de la dernière décennie l’intérêt de l’utilisation de sérum salé hypertonique (SSH) en continu dans la phase aiguë suivant le traumatisme, montrant un meilleur contrôle de l’HTIC et une diminution de la mortalité. Cependant, le pronostic neurologique avec l’évaluation du stade de dépendance dans les actes de la vie quotidienne n’a pas été étudié. 

L’essai COBI (Continuous Hyperosmolar Therapy for Traumatic Brain-Injured Patients) vise donc à tester l'hypothèse dans un essai clinique randomisé selon laquelle la perfusion continue d'une solution saline hypertonique à 20% améliore les résultats neurologiques à 6 mois chez les patients traumatisés crâniens modérés à sévères.

Méthodologie : 

Cet essai a été mené au sein de réanimations appartenant à 9 hôpitaux universitaires Français, entre Novembre 2017 et Février 2020.

Il s’agit d’un essai contrôlé, en ouvert (avec aveugle concernant la récupération des données du critère de jugement principal), randomisé en bloc de 6 avec un ratio de 1:1, avec une stratification réalisée sur la sévérité lésionnelle (basée sur le pire score de Glasgow avant inclusion, échelle de 3-8 et 9-12) et les patients ayant reçu un bolus de soluté hypertonique avant l’inclusion.

Les patients recevaient soit une solution de sérum salé hypertonique 20% en continu, soit une prise en charge laissée à la discrétion du médecin en charge du patient basée sur les recommandations internationales issues de Brain Trauma Foundation. 

L’intervention était prescrite pour une durée au minimum de 48 heures, poursuivie tant que le patient était considéré à risque d’hypertension intracrânienne et arrêtée 12 heures après l’arrêt des thérapeutiques spécifiques de grade III (bolus de soluté hyperosmolaire, hypothermie thérapeutique, thiopental).

Tous les patients âgés de 18 à 80 ans admis dans une des réanimations appartenant à l’essai étaient éligibles. Les patients inclus avaient un traumatisme crânien modéré à sévère (score de Glasgow au plus bas pendant les premières 24 heures inférieur ou égal à 12), associé à une lésion retrouvée à la tomodensitométrie (hématome extradural, hématome sous-dural, hémorragie sous arachnoïdienne, contusion cérébrale, hématome intra-parenchymateux, œdème cérébral, fracture crânienne).

Ont été exclus les femmes enceintes, les patients ayant un handicap avec dépendance dans les actes de la vie quotidienne précédant le traumatisme, les patients en état de mort encéphalique ou considérés comme moribond (Score de Glasgow à 3 en mydriase bilatérale).

Le critère de jugement principal est un critère clinique basé sur une évaluation de la dépendance dans les actes de la vie quotidienne via le score GOS-E à 6 mois suivant le traumatisme. L’évaluation était réalisée à l’aveugle par un questionnaire téléphonique.

Les critères de jugements secondaires comprenaient : la mortalité à 6 mois, le score GOS-E à 3 mois, la durée de la période d’amnésie post traumatique au cours de l’hospitalisation, à 3 mois et à 6 mois, l’évaluation de l’autonomie dans les actes de la vie quotidienne à 3 et 6 mois (iADL), le lieu de résidence à 3 et 6 mois, l’évolution de la natrémie et de l’osmolarité toutes les 8 heures quotidiennement et la mesure de la PIC ainsi que la survenue d’effets indésirables au cours de l’hospitalisation (pneumopathie, survenue de troubles métaboliques, IRA KDIGO > 1, MTEV).

Le nombre de sujets nécessaires pour montrer une différence significative de 20% sur le critère de jugement principal, avec une puissance de 80% et un risque alpha à 0.05, était évalué à 370.

Résultats : 

Finalement 370 patients ont été inclus dans l’essai, 185 dans le bras solution hypertonique en continu et 185 dans le bras soins habituels. L’âge médian était de 46 et 43 ans respectivement, en majorité des hommes (78,8% et 80,9%). Le score de Glasgow médian était à 7. Une anisocorie était présente chez 22,8% et 25,8% des patients avec une prédominance de lésion modérée avec déviation de la ligne médiane inférieure à 5mm (42,4% et 49,5%). La prise en charge neurochirurgicale concernait 32,1 et 22% des patients. La présence d’une hypertension intracrânienne au cours de l’hospitalisation survenait chez 83% et 89% des patients.

Une perfusion hypertonique continue de NaCl 20% fut administrée en moyenne sur une durée de 2.7 jours.

Concernant le critère de jugement principal, les auteurs ne retrouvent pas de différence significative à 6 mois selon le score GOS-E entre les deux groupes (= 0.92).

Concernant les objectifs secondaires, aucune différence significative n’est retrouvée notamment sur la mortalité, les épisodes d’HTIC, les moyens mis en œuvre pour traiter l’HTIC, les critères d’évolution favorable neurologique notamment l’autonomie atteinte. Il n’y avait pas de différence significative concernant les effets indésirables : myélinolyse centro-pontine, trouble métabolique (hypernatrémie sévère retrouvée chez 23 patients dans le groupe interventionnel et 11 dans le groupe contrôle), IRA KDIGO > 1, MTEV, pneumopathie intra-hospitalière.

Discussion : 

Cet essai clinique comporte de nombreux points positifs. Tout d’abord, l’étude est de bonne qualité. En effet, il s’agit d’une étude bien menée, randomisée, de forte puissance avec une population représentative de la population de neuro-réanimation. Il n’y a pas d’aveugle qui aurait pu être réalisé techniquement mais qui aurait ajouté la nécessité d’une gestion du bilan hydro-sodé du fait des apports dans le groupe contrôle avec un risque de biais. Les auteurs rapportent l’effet bénéfique théorique du SSH avec des propriétés neuroprotectrices du fait d’action sur les neurotransmetteurs et tout particulièrement la diminution du glutamate, action qu’il reste à prouver à ce jour.

De manière similaire aux études précédentes, les auteurs retrouvent une tendance à une diminution de la mortalité lors de l’utilisation de SSH en continu. Aucun effet indésirable grave, notamment la survenue de myélinolyse centro-pontine secondairement à l’utilisation de perfusion en continu, n’a été retrouvé.

Pour autant la tendance est à la diminution de l’autonomie dans les actes de la vie quotidienne à distance du traumatisme dans le groupe interventionnel comparativement à la pratique courante.

Plusieurs limites sont retrouvées. La première est méthodologique : essai réalisé en ouvert bien que le biais soit atténué par l’évaluation du critère de jugement en aveugle. Ensuite, absence d’évaluation de l’efficacité du traitement réalisé malgré le fait que certains patients aient présenté une HTIC entre la randomisation et l’initiation du traitement. Enfin les patients ayant présenté une HTIC nécessitant une incrémentation des thérapeutiques ont été retrouvés dans les deux bras sans qu’aucune comparaison statistique ne soit réalisée.

Conclusion : 

En l’état actuel des connaissances, l’utilisation de SSH en continu en phase aiguë d’un traumatisme crânien modéré à sévère ne peut être recommandée dans l’objectif d’améliorer le pronostic neurologique basé sur l’autonomie des patients à 6 mois suivant le traumatisme.

Abstract

Importance: Fluid therapy is an important component of care for patients with traumatic brain injury, but whether it modulates clinical outcomes remains unclear.

Objective: To determine whether continuous infusion of hypertonic saline solution improves neurological outcome at 6 months in patients with traumatic brain injury.

Design, Setting, and Participants: Multicenter randomized clinical trial conducted in 9 intensive care units in France, including 370 patients with moderate to severe traumatic brain injury who were recruited from October 2017 to August 2019. Follow-up was completed in February 2020.

Interventions: Adult patients with moderate to severe traumatic brain injury were randomly assigned to receive continuous infusion of 20% hypertonic saline solution plus standard care (n = 185) or standard care alone (controls; n = 185). The 20% hypertonic saline solution was administered for 48 hours or longer if patients remained at risk of intracranial hypertension.

Main Outcomes and Measures: The primary outcome was Extended Glasgow Outcome Scale (GOS-E) score (range, 1-8, with lower scores indicating worse functional outcome) at 6 months, obtained centrally by blinded assessors and analyzed with ordinal logistic regression adjusted for prespecified prognostic factors (with a common odds ratio [OR] >1.0 favoring intervention). There were 12 secondary outcomes measured at multiple time points, including development of intracranial hypertension and 6-month mortality.

Results: Among 370 patients who were randomized (median age, 44 [interquartile range, 27-59] years; 77 [20.2%] women), 359 (97%) completed the trial. The adjusted common OR for the GOS-E score at 6 months was 1.02 (95% CI, 0.71-1.47; P = .92). Of the 12 secondary outcomes, 10 were not significantly different. Intracranial hypertension developed in 62 (33.7%) patients in the intervention group and 66 (36.3%) patients in the control group (absolute difference, -2.6% [95% CI, -12.3% to 7.2%]; OR, 0.80 [95% CI, 0.51-1.26]). There was no significant difference in 6-month mortality (29 [15.9%] in the intervention group vs 37 [20.8%] in the control group; absolute difference, -4.9% [95% CI, -12.8% to 3.1%]; hazard ratio, 0.79 [95% CI, 0.48-1.28]).

Conclusions and Relevance: Among patients with moderate to severe traumatic brain injury, treatment with continuous infusion of 20% hypertonic saline compared with standard care did not result in a significantly better neurological status at 6 months. However, confidence intervals for the findings were wide, and the study may have had limited power to detect a clinically important difference.

Trial Registration: ClinicalTrials.gov Identifier: NCT03143751.

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