Commentaire de bibliographies du service

Trachéotomie après traumatisme crânien : étude CENTER-TBI

Tracheostomy practice and timing in traumatic brain-injured patients: a CENTER-TBI study.

Robba C, Galimberti S, Graziano F, Wiegers EJA, Lingsma HF, Iaquaniello C, Stocchetti N, Menon D, Citerio G, CENTER-TBI ICU Participants and Investigators.

Intensive care medicine, avril 2020, volume 46, pages 983-994

Commentaire, Abstract

Commentaire

Par Dr S. Darrasse et Dr A. Rodrigues

Introduction

Il existe de nombreux avantages à la réalisation d’une trachéotomie en réanimation :  l’aide au sevrage ventilatoire, la réduction de la durée de ventilation mécanique et de séjour ainsi que la diminution des complications liées à l’intubation prolongée. Chez les patients avec traumatisme crânien, les deux principales indications de la trachéotomie sont l’échec de sevrage ventilatoire et l’absence de protection des voies aériennes. Il existe cependant peu d’information sur le taux de patients traumatisés crâniens qui pourraient bénéficier d’une trachéotomie, le délai le plus approprié pour la réaliser ainsi que les indications les plus optimales de la trachéotomie. Compte tenu de ces données, l’objectif de cette étude est triple : 

  • décrire les caractéristiques des patients traumatisés crâniens de réanimation ayant bénéficié d’une trachéotomie et son délai de réalisation,
  • identifier les facteurs reliés à la décision de réalisation d’une trachéotomie chez les patients traumatisés crâniens de réanimation et les différentes stratégies entre pays 
  • analyser l’impact du délai de réalisation d'une trachéotomie sur le devenir des patients traumatisés crâniens graves en réanimation.

Méthodologie

Dans cette étude observationnelle de cohorte, étaient inclus des patients avec traumatisme crânien, ayant bénéficié d’un scanner à leur arrivée à l’hôpital, hospitalisé dans les 24 heures suivant le traumatisme et avec une durée de séjour en réanimation supérieure à 72 heures. Les patients étaient exclus s’ils ne pouvaient pas bénéficier d’une trachéotomie du fait d’un décès dans les 72 heures ou d’une durée de séjour en réanimation inférieure à 72 heures. Les données sont issues de la cohorte CENTER-TBI regroupant les patients traumatisés crâniens dans 65 centres européens.

Résultats et discussion

Au total 1358 patients ont été inclus dans l’étude, 433 ont été trachéotomisés. Il n’existait pas de différence significative entre les patients trachéotomisés ou non concernant l’âge (médiane à 50 ans), le genre (70% de sexe masculin), le score ASA avant le traumatisme (58,1% de patients ASA 1 ; 31,5% de patients ASA 2 et 10,4% de patients ASA 3), le type d’accident (majorité d’accidents de la voie publique et de chutes accidentelles) et les comorbidités. Cependant les patients trachéotomisés étaient plus graves à la prise en charge (Glasgow Coma Scale (GSC) < 8 à la prise en charge, au moins une pupille non réactive, hypoxémie précoce, hypotension artérielle précoce, ISS élevé), présentaient plus de traumatisme extra-crânien, bénéficiaient plus de pose de capteur de pression intracrânienne (PIC), et développaient au cours de la prise en charge plus de pneumopathie acquise sous ventilation mécanique (PAVM) et de détresse respiratoire.

La médiane de réalisation de la trachéotomie était de 9 jours. Une trachéotomie précoce (dans les 7 premiers jours de réanimation) était réalisée chez 41.6 % des patients trachéotomisés. Les patients étaient plus âgés, présentaient plus d’hypoxémie et d’hypotension artérielle à la prise en charge initiale ainsi que plus de traumatismes faciaux. Une trachéotomie tardive (après le 7ème jour de réanimation) était réalisée chez 58.4% des patients trachéotomisés. Ces patients développaient plus de PAVM et d’hypoxémie durant la prise en charge.

Cinq facteurs liés à la décision de réalisation d’une trachéotomie ont été identifiés : l’âge, le GCS < 8 à la prise en charge initiale, la non réactivité d’au moins une pupille, la présence d’un traumatisme thoracique et l’hypoxémie à la prise en charge. Il existe une hétérogénéité importante entre pays et entre centres avec un taux de trachéotomie de 7,9 à 50,2%. Aucune différence significative n’a été retrouvée sur le score Glasgow Outcome Scale (GOSE) à 6 mois, la mortalité en réanimation et la mortalité à 6 mois lorsque les trachéotomies tardives et précoces étaient comparées en analyse univariée. Après ajustement, il existait une relation statistique entre trachéotomie précoce et évolution neurologique favorable à 6 mois (GOSE > 5), entre trachéotomie tardive et délai d’hospitalisation en réanimation et total plus court, entre trachéotomie tardive et GOSE < 5. De plus chaque délai d’un jour de réalisation de trachéotomie était lié à une augmentation de 6% de l’HR de mortalité (lorsque la variable est analysée comme continue). Il existait un taux plus important de trachéotomie chez les patients traumatisés crâniens en réanimation (31,8% dans l’étude) que les autre patients de réanimation (autour de 10%), conséquence d’échec d’extubation et de trouble de déglutition plus importants chez les traumatisés crâniens. Le taux de trachéotomie précoce était plus faible dans cette population. Cela peut être expliqué par l’histoire de la prise en charge d’un traumatisé crânien grave avec à la phase initiale la gestion de l’hypertension intra crânienne (HTIC), période pendant laquelle il n’existe pas d’intérêt de la trachéotomie. Après cette phase arrive l’arrêt des sédations, l’évaluation neurologique et le sevrage ventilatoire, période pendant laquelle la trachéotomie prend tout son sens. Chaque délai d’un jour serait associé à une augmentation de la mortalité et à un pronostic neurologique plus défavorable. Les facteurs confondants sont cependant nombreux : les patients les  plus sévères donc plus à risque de décès ou d’évolution neurologique défavorable ont pu avoir besoin de traitements limitant les complications cérébrales notamment l’HTIC pendant une période plus longue, et donc retarder la réalisation d’une potentielle trachéotomie.

La grande population diversifiée aux caractéristiques proches de la population cible offre à cette étude une bonne validité externe. Il faut cependant être attentif aux possibles facteurs confondant non identifiés, ainsi qu’au manque de données notamment sur les types de ventilation et les complications respiratoires. Enfin cette étude est observationnelle, ainsi nous ne pouvons conclure que sur des relations statistiques. Il est enfin important de souligner le critère de jugement principal utilisé pour évaluer le devenir neurologique des patients. Le score de GOSE ne permet pas à lui seul d’évaluer le devenir neurologique d’un patient. 

Abstract

PURPOSE: Indications and optimal timing for tracheostomy in traumatic brain-injured (TBI) patients are uncertain. This study aims to describe the patients' characteristics, timing, and factors related to the decision to perform a tracheostomy and differences in strategies among different countries and assess the effect of the timing of tracheostomy on patients' outcomes.

METHODS: We selected TBI patients from CENTER-TBI, a prospective observational longitudinal cohort study, with an intensive care unit stay ≥ 72 h. Tracheostomy was defined as early (≤ 7 days from admission) or late (> 7 days). We used a Cox regression model to identify critical factors that affected the timing of tracheostomy. The outcome was assessed at 6 months using the extended Glasgow Outcome Score.

RESULTS: Of the 1358 included patients, 433 (31.8%) had a tracheostomy. Age (hazard rate, HR = 1.04, 95% CI = 1.01-1.07, p = 0.003), Glasgow coma scale ≤ 8 (HR = 1.70, 95% CI = 1.22-2.36 at 7; p < 0.001), thoracic trauma (HR = 1.24, 95% CI = 1.01-1.52, p = 0.020), hypoxemia (HR = 1.37, 95% CI = 1.05-1.79, p = 0.048), unreactive pupil (HR = 1.76, 95% CI = 1.27-2.45 at 7; p < 0.001) were predictors for tracheostomy. Considerable heterogeneity among countries was found in tracheostomy frequency (7.9-50.2%) and timing (early 0-17.6%). Patients with a late tracheostomy were more likely to have a worse neurological outcome, i.e., mortality and poor neurological sequels (OR = 1.69, 95% CI = 1.07-2.67, p = 0.018), and longer length of stay (LOS) (38.5 vs. 49.4 days, p = 0.003).

CONCLUSIONS: Tracheostomy after TBI is routinely performed in severe neurological damaged patients. Early tracheostomy is associated with a better neurological outcome and reduced LOS, but the causality of this relationship remains unproven.

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