Délais d’initiation d’une technique d’épuration extra-rénale dans l’insuffisance rénale aigue : Etude STARRT-AKI
Timing of Initiation of Renal-Replacement Therapy in Acute Kidney Injury.
STARRT-AKI Investigators., Canadian Critical Care Trials Group., Australian and New Zealand Intensive Care Society Clinical Trials Group., United Kingdom Critical Care Research Group., Canadian Nephrology Trials Network. et al.
The New England journal of medicine, 16 juillet 2020, volume 383, pages 240-251
Commentaire
Par Abdelaziz Graine et Dr A. Harrois
Introduction
L’insuffisance rénale aigue est une problématique fréquente en réanimation avec une morbi-mortalité et un coût important. Une certaine proportion de patients de réanimation aura besoin d’une épuration extra-rénale au cours de leur hospitalisation. Cependant, le délai pour initier cette épuration extra-rénale ne fait pas consensus en l’absence de critères d’urgence, les études réalisées précédemment montrant des résultats discordants.
Le rationnel pour l’initiation précoce d’une épuration extra-rénale serait d’avoir une balance hydro-électrolytique optimale le plus tôt possible et d’éviter d’exposer l’organisme à des métabolites toxiques. A l’inverse, l’introduction trop précoce d’une épuration extra-rénale exposerait également à des complications, notamment infectieuses ou hémodynamiques chez des patients qui auraient possiblement récupéré une fonction rénale normale sans recours à l’épuration extra-rénale.
L’objectif de cette étude est de montrer que l’initiation précoce d’une épuration extra-rénale diminue la mortalité des patients hospitalisés en réanimation.
Matériels et méthodes
Il s’agit d’un essai contrôlé, randomisé, multicentrique et international, réalisé en ouvert. Ont été inclus les patients de plus de 18 ans, présentant une insuffisance rénale aigue Kdigo 2 ou 3 et hospitalisés en réanimation. Ont été exclus les patients avec des critères d’épuration extra-rénale en urgence, les patients ayant bénéficié d’une dialyse dans les 2 derniers mois, les patients insuffisants rénaux chronique avec un DFG < 20 mL/min, les patients en limitation thérapeutique et les patients avec une insuffisance rénale aigue obstructive ou secondaire à une MAT. Une fois ces critères réunis, le médecin incluait les patients s’il estimait qu’il y avait un doute sur la nécessité d’une épuration extra-rénale.
Les patients étaient ensuite randomisés par bloc de taille variable avec une stratification sur chaque centre, en 2 groupes : un groupe contrôle où les patients bénéficiaient d’une épuration extra-rénale seulement si apparaissait un critère de dialyse ou si l’insuffisance rénale persistait plus de 72h, sachant que le médecin pouvait dialyser sans ces critères ou ne pas dialyser malgré ces critères, et un groupe dialyse précoce où la dialyse devait être réalisée dans les 12h suivant l’inclusion.
Dans les 2 groupes, la technique d’épuration extra-rénale était laissée à l’appréciation du clinicien.
Le critère de jugement principal était la mortalité toute cause à J90.
Les critères de jugement secondaires étaient :
• Dépendance à l’EER à J90
• Critère composite : mortalité ou dépendance à l’EER à J90
• « Effet indésirable rénal majeur »
• Décès en réanimation à J28
• Durée d’hospitalisation et nombre de jours sans hospitalisations à J90
• Qualité de vie à J90 (EQ5D5L)
• Nombre de jours sans EER à J90
• Nombre de jours sans ventilation mécanique à J28
• Nombre de jours sans amines à J28
Les effets indésirables de l’épuration extra-rénale ont également été rapportés.
Les analyses ont été faites en intention de traiter modifiée après exclusion des patients ayant retiré leur consentement, des perdus de vue, et de ceux exclus après randomisation.
Résultats
11852 patients étaient éligibles, 3019 ont été randomisés (plus de 7000 patients n’ont pas été inclus car le clinicien a pris d’instaurer ou non une épuration extra-rénale). Les deux groupes étaient comparables, avec des critères de gravité comparables : SAPS II à 58 et SOFA à 11,8. Près de 70% avaient besoin d’amines, les ¾ étaient sous ventilation mécanique. Le motif d’admission était chirurgical pour 33% des patients et 57,7% des patients ont présenté un sepsis. 96,8% des patients ont été dialysés dans le groupe précoce avec une médiane de 6,1 heures après la randomisation contre 61,8% des patients dans le groupe contrôle avec une médiane de 31,1 heures après la randomisation. Au moment de l’initiation de la dialyse le SOFA, la créatininémie, l’urémie et la surcharge hydrosodée étaient plus élevées dans le groupe contrôle.
Critère de jugement principal
L’étude n’a pas montré de différence significative entre les 2 groupes pour la mortalité toutes causes à 90 jours, avec 43,9% de décès dans le groupe précoce contre 43,7% dans le groupe contrôle, IC95 [0,93-1,09]. Des analyses en sous-groupe ont été réalisées et ne montraient pas de différence dans aucun des groupes.
Critères de jugement secondaires
La dépendance à l’épuration extra-rénale était supérieure dans le groupe précoce par rapport au groupe tardif avec respectivement 10,4% et 6% de dépendance à l’épuration extra-rénale, IC95 [1,24-2,43]. Les patients du groupe précoce avaient une durée de séjour en réanimation moins longue que dans le groupe contrôle et une durée d’épuration extra-rénale très légèrement moins longue, cependant les patients du groupe précoce avaient une très légère augmentation du risque de ré hospitalisation. Les autres critères de jugement secondaires n’étaient pas significatifs.
Effets indésirables
Il y avait significativement plus d’effets indésirables dans le groupe précoce que dans le groupe contrôle (23% vs 16,5% p<0,001). Les effets indésirables significativement plus importants étaient l’hypotension artérielle et l’hypophosphatémie. Le nombre d’effets indésirables graves était similaire entre les 2 groupes.
Discussion
Les auteurs n’ont pas montré de différence de mortalité à 90 jours entre l’initiation d’une épuration extra-rénale précoce et l’initiation seulement si l’insuffisance rénale persiste plus de 72h ou si un critère métabolique apparaissait. De plus il semblerait que l’initiation d’une épuration extra-rénale précoce sans critère métabolique associé induise une augmentation de la dépendance à l’épuration extra-rénale et une majoration des effets indésirables notamment l’hypotension artérielle.
Cette étude présente plusieurs forces. Tout d’abord, l’effectif est conséquent avec plus de 3000 patients randomisés et la validité externe est bonne avec une étude réalisée dans plus de 168 centres dans 15 pays différents. Enfin, les caractéristiques des patients sont comparables aux patients habituels de réanimation. La validité interne est également satisfaisante avec une méthodologie rigoureuse, on peut cependant regretter l’analyse en intention de traiter modifiée.
Cette étude présente néanmoins quelques limitations. Les caractéristiques des plus de 7000 patients éligibles mais non inclus sur décision du clinicien ne sont pas présentées. De plus, l’absence d’aveugle a pu amener à surestimer les effets indésirables dans le groupe précoce car les cliniciens étaient invités à déclarer les effets secondaires de l’épuration extra-rénale.
Au total, le recours précoce à une épuration extra-rénale ne permet pas de diminuer la mortalité des patients à 90 jours et semblerait induire plus d’effets indésirables et de dépendance a la dialyse.
Abstract
BACKGROUND: Acute kidney injury is common in critically ill patients, many of whom receive renal-replacement therapy. However, the most effective timing for the initiation of such therapy remains uncertain.
METHODS: We conducted a multinational, randomized, controlled trial involving critically ill patients with severe acute kidney injury. Patients were randomly assigned to receive an accelerated strategy of renal-replacement therapy (in which therapy was initiated within 12 hours after the patient had met eligibility criteria) or a standard strategy (in which renal-replacement therapy was discouraged unless conventional indications developed or acute kidney injury persisted for >72 hours). The primary outcome was death from any cause at 90 days.
RESULTS: Of the 3019 patients who had undergone randomization, 2927 (97.0%) were included in the modified intention-to-treat analysis (1465 in the accelerated-strategy group and 1462 in the standard-strategy group). Of these patients, renal-replacement therapy was performed in 1418 (96.8%) in the accelerated-strategy group and in 903 (61.8%) in the standard-strategy group. At 90 days, death had occurred in 643 patients (43.9%) in the accelerated-strategy group and in 639 (43.7%) in the standard-strategy group (relative risk, 1.00; 95% confidence interval [CI], 0.93 to 1.09; P = 0.92). Among survivors at 90 days, continued dependence on renal-replacement therapy was confirmed in 85 of 814 patients (10.4%) in the accelerated-strategy group and in 49 of 815 patients (6.0%) in the standard-strategy group (relative risk, 1.74; 95% CI, 1.24 to 2.43). Adverse events occurred in 346 of 1503 patients (23.0%) in the accelerated-strategy group and in 245 of 1489 patients (16.5%) in the standard-strategy group (P<0.001).
CONCLUSIONS: Among critically ill patients with acute kidney injury, an accelerated renal-replacement strategy was not associated with a lower risk of death at 90 days than a standard strategy. (Funded by the Canadian Institutes of Health Research and others; STARRT-AKI ClinicalTrials.gov number, NCT02568722.).