Evaluation de la manoeuvre de Sellick en cas d'induction à séquence rapide : étude IRIS
Effect of Cricoid Pressure Compared With a Sham Procedure in the Rapid Sequence Induction of Anesthesia: The IRIS Randomized Clinical Trial.
Birenbaum A, Hajage D, Roche S, Ntouba A, Eurin M, Cuvillon P, Rohn A, Compere V, Benhamou D, Biais M, Menut R, Benachi S, Lenfant F, Riou B, IRIS Investigators Group.
JAMA surgery, 1 janvier 2019, volume 154, pages 9-17
Commentaire
Par Drs Flore Biancale, S. Figueiredo, S. Hamada
Introduction
L'induction d’une anesthésie générale (AG) entraine une perte des réflexes protecteurs des voies aériennes avec un risque d'inhalation du contenu gastrique. L'absence de jeûne préopératoire (chirurgie urgente par exemple) ou le retard à la vidange gastrique (iléus, ATCD de chirurgie gastrique) majorent le risque d'inhalation au moment de l'induction. Pour lutter contre ce risque, l’induction se fait alors « en séquence rapide », classiquement associée à une compression de l’œsophage par appui sur le cartilage cricoïde (manœuvre de Sellick). Peu d'études ont montré l’efficacité de cette manœuvre, qui comporte par ailleurs des risques : compression insuffisante et ouverture du sphincter inférieur de l'œsophage, majoration des difficultés de ventilation et d’intubation orotrachéale (IOT).
L'objectif de cette étude est de prouver la non infériorité de l’absence de manœuvre de Sellick sur l'incidence des inhalations chez des patients nécessitant une induction séquence rapide (ISR).
Méthodes
Essai contrôlé randomisé multicentrique, en double aveugle entre février 2014 et février 2017, dans 10 centres universitaires français.
Patients éligibles: chirurgie nécessitant AG et ISR. Inclus: < 6h de jeûne, facteurs de risques d'inhalations (urgence, IMC >30, ATCD de chirurgie gastrique, iléus). Exclus: <18 ans, grossesse, pneumonie ou contusion pulmonaire, troubles de la conscience.
Intervention : pression cricoïdienne de 30 Newtons (formation préalable) ou absence de pression (aveugle maintenu à l'aide d'un champ opaque).
Critère de jugement principal (CPJ) : incidence des inhalations (visualisées au niveau de la glotte pendant l’IOT ou par aspiration trachéale après l’IOT). Critères secondaires (CJS) : pneumonies d'inhalations, temps et difficultés d'intubation.
Calcul d’effectif : la procédure factice sera considérée comme non inférieure à la manœuvre de Sellick si l'incidence des inhalations n’est pas supérieure à 50% (borne supérieure du risque relatif < 1,5) de celle observée dans le groupe « Sellick ». Avec une incidence attendue d'inhalation = 2,8%, 3500 patients sont nécessaires (puissance = 80% et risque alpha = 5%).
Résultats
3472 patients inclus, dont 1735 patients dans groupe Sellick, 1736 dans le groupe « factice » analysés en intention de traiter (ITT). L'incidence des inhalations était de 0,6% dans le groupe Sellick et 0,5% dans le groupe « factice », risque relatif à 0,9 (IC90% = 0,39-1,99 ; p = 0,14), la borne supérieure de l’IC90% dépassant donc 1,5. Les résultats étaient identiques lors des analyses en ITT et per-protocole. La durée d’IOT était significativement plus longue et les conditions d’IOT étaient significativement moins bonnes dans le groupe « Sellick ». Les autres CJS n’étaient pas significativement différents.
Discussion
Cette étude n’a pas permis de prouver la non infériorité de l'absence de manœuvre de Sellick dans la survenue des inhalations lors de l’ISR. Les points forts de cette étude sont : bonnes validités externe et interne (pertinence de la question, RCT, multicentrique, effectif important, peu de violations de protocole, Sellick réalisée après formation). La principale limite est la faible incidence de survenue d’inhalation (0,6% vs 2,8% attendus), diminuant la puissance de l’étude et ne permettant pas aux auteurs de prouver statistiquement la non infériorité de l’absence de manœuvre de Sellick. Cependant, les données obtenues ne suggèrent pas non plus une supériorité de cette manœuvre au sein de la population étudiée. Une population plus ciblée, avec un risque plus important de survenue d’inhalation lors de l’ISR (femmes enceintes ? ISR réalisée en dehors du bloc opératoire ? estomac « réellement plein » objectivé à l’échographie gastrique p.ex.) pourrait peut-être bénéficier de cette manœuvre, qui peut par ailleurs majorer les difficultés d’IOT.
Commentaire sur la partie statistique (Dr Hamada)
Abstract
Importance: The use of cricoid pressure (Sellick maneuver) during rapid sequence induction (RSI) of anesthesia remains controversial in the absence of a large randomized trial.
Objective: To test the hypothesis that the incidence of pulmonary aspiration is not increased when cricoid pressure is not performed.
Design, Setting, and Participants: Randomized, double-blind, noninferiority trial conducted in 10 academic centers. Patients undergoing anesthesia with RSI were enrolled from February 2014 until February 2017 and followed up for 28 days or until hospital discharge (last follow-up, February 8, 2017).
Interventions: Patients were assigned to a cricoid pressure (Sellick group) or a sham procedure group.
Main Outcomes and Measures: Primary end point was the incidence of pulmonary aspiration (at the glottis level during laryngoscopy or by tracheal aspiration after intubation). It was hypothesized that the sham procedure would not be inferior to the cricoid pressure. The secondary end points were related to pulmonary aspiration, difficult tracheal intubation, and traumatic complications owing to the tracheal intubation or cricoid pressure.
Results: Of 3472 patients randomized, mean (SD) age was 51 (19) years and 1777 (51%) were men. The primary end point, pulmonary aspiration, occurred in 10 patients (0.6%) in the Sellick group and in 9 patients (0.5%) in the sham group. The upper limit of the 1-sided 95% CI of relative risk was 2.00, exceeding 1.50, failing to demonstrate noninferiority (P = .14). The risk difference was -0.06% (2-sided 95% CI, -0.57 to 0.42) in the intent-to-treat population and -0.06% (2-sided 95% CI, -0.56 to 0.43) in the per protocol population. Secondary end points were not significantly different among the 2 groups (pneumonia, length of stay, and mortality), although the comparison of the Cormack and Lehane grade (Grades 3 and 4, 10% vs 5%; P <.001) and the longer intubation time (Intubation time >30 seconds, 47% vs 40%; P <.001) suggest an increased difficulty of tracheal intubation in the Sellick group.
Conclusions and Relevance: This large randomized clinical trial performed in patients undergoing anesthesia with RSI failed to demonstrate the noninferiority of the sham procedure in preventing pulmonary aspiration. Further studies are required in pregnant women and outside the operating room.
Trial Registration: ClinicalTrials.gov Identifier: NCT02080754.