Relation entre pression médullaire, pression de perfusion médullaire, ratio lactate-pyruvate et force des membres dans le traumatisme médullaire
Acute Spinal Cord Injury: Correlations and Causal Relations Between Intraspinal Pressure, Spinal Cord Perfusion Pressure, Lactate-to-Pyruvate Ratio, and Limb Power.
Hogg FRA, Kearney S, Zoumprouli A, Papadopoulos MC, Saadoun S
Neurocritical care, janvier 2021, volume 34, pages 121-129
Commentaire
Par MC Diemoz (DESAR) et le Dr A. Rodrigues (PH)
INTRODUCTION
Le traumatisme médullaire concerne près de 180 000 patients par an. Il s'agit d'une pathologie avec un mauvais pronostic neurologique. 30% de ces patients resteront para ou tétraplégiques. Seulement 1% des patients sortent de réanimation sans séquelles neurologiques. Les traitements actuels n'ont pas montré de réels bénéfices sur la récupération. Une chirurgie précoce est toujours indiquée mais sans délai bien défini. Les corticoïdes, largement utilisés à une époque, ne sont plus recommandés. Les objectifs de PAM avec une cible entre 85 et 90 mmHg sont revus à la baisse dans les dernières recommandations françaises.
Par analogie au traumatisme crânien, certaines équipes se sont intéressées au monitorage de la pression intramédullaire (ISP) et de la pression de perfusion médullaire (SCPP). La SCPP est calculée par la différence entre la PAM et l'ISP. Il a été décrit que les ISP et SCPP étaient corrélées au métabolisme local ainsi qu'à l'état neurologique. Cependant les différentes études n'ont évoqué que des relations d'association sans causalité démontrée.
MATÉRIEL ET METHODES
Il s'agit d'une étude observationnelle, en ouvert réalisée au St George’s Hospitalier de Londres entre Octobre 2011 et Janvier 2020. Les patients inclus avaient entre 18 et 70 ans. Ils étaient pris en charge pour un traumatisme médullaires sévère score ASIA C nécessitant une chirurgie dans les 72h. Les critères d'exclusion étaient les comorbidités majeures, l'absence de consentement et les traumatismes médullaires pénétrants. L'objectif consistait à montrer que la variation d’ISP, de SCPP et du métabolisme entraînerait une modification du score moteur. Les paramètres monitorés étaient le score moteur, l’ISP, la SCPP et le lactate pyruvate ratio (LPR) à J7 en post opératoire. L'analyse statistique était réalisée par un test de causalité de Granger.
Après son transfert au bloc opératoire, le patient bénéficiait d'une laminectomie décompressive. Durant l'intervention, un capteur de pression était inséré au niveau de la lésion médullaire ainsi qu'un cathéter de microdialyse.
RESULTATS
19 patients ont été inclus. L'âge moyen est de 47 ans. Les patients sont à 74% des hommes. Les traumatismes sont cervicaux dans 74% des cas et thoraciques pour le reste. Le per opératoire a consisté en un abord postérieur avec laminectomie chez 63% des patients, un double abord avec laminectomie dans 26% des cas. 11% des patients ont eu un abord postérieur sans laminectomie. Le délai entre le traumatisme et la chirurgie était de 38h. La durée de monitorage était de 5,1j pour l'ISP et 3,7j pour la microdialyse. Les complications retrouvées sont des fuites de LCR (4 patients), pseudo-méningocèle (4 patients), sepsis (4 patients), syndrome de Korsakoff (1 patient). L'ISP qui est associée au meilleure score moteur est inférieure à 5 mmHg. L'augmentation de l’ISP de 5 à 20 mmHg est associée à une perte de 11 points de score moteur. L’augmentation de SCPP entre 50 et 110 mmHg est corrélée à un gain de 8 points de score moteur. Au-delà de 110 mmHg, le score moteur diminue sur un probable effet délétère de l'hyperhémie. L'augmentation de la PAM entre 75 et 95 mmHg est associée à +4 points de score moteur. Il atteint un certain plateau pour des PAM supérieures à 90 mmHg.
Concernant le métabolisme, un taux de LPR inférieur à 20 semble délétère sur le score moteur. Un LPR entre 20 et 30 est corrélé au score moteur le plus élevé. Entre 20 et 60 de LPR, le score moteur diminue de 4 points de même que le taux de pyruvate au profit des lactates. Au-delà de 60 de LPR, les taux de lactates et pyruvate diminuent conjointement ce qui s'explique par un probable arrêt des métabolismes aérobie et anaérobie.
Une augmentation de l’IPS est corrélée à une augmentation du LPR ce qui témoigne d'une corrélation positive entre les deux paramètres. Inversement, une augmentation de SCPP est associée à une diminution de LPR. La corrélation est donc négative entre SCPP et LPR.
DISCUSSION
Le test de causalité de Granger requiert plusieurs critères pour être appliqué : une association forte entre les deux paramètres, un lien physiopathologique, des preuves solides, une temporalité et un effet dose réponse. D'après Granger, une augmentation de LPR entraînerait une augmentation de l'ISP, une diminution du SCPP et une diminution du score moteur. De même, une SCPP augmentée entraînerait une diminution de LPR et une augmentation du score moteur. Enfin, une augmentation de l'ISP provoquerait une augmentation de LPR, une diminution de SCPP et une diminution du score moteur.
Certaines limites restent présentes. Dans le principe de causalité de Granger, les différents paramètres doivent être établis dans le temps. Dans ce cas l’ISP et le LPR semblent être au centre d'un cercle vicieux ou l’on ne saurait déterminer lequel est la cause ou l'effet. De plus, cette relation de causalité est purement statistiquement et non établie par un essai contrôlé randomisé. Cette étude permet d'établir une relation d'association sans réel lien de causalité. Enfin, devant le faible effectif, des études de plus grande ampleur restent à effectuer.
Les traitements actuellement utilisés restent la décompression chirurgicale qui permet d'agir sur l'ISP. Les vasopresseurs permettent d'agir sur la SCPP via l'augmentation de la PAM. La diminution du LPR passe par la gestion des facteurs habituels que sont l'hypoxie, l'acidose, la fièvre, le saignement.
CONCLUSION
Chez les traumatisés médullaires ASIA C, la diminution de l’ISP, l'augmentation de la SCPP et la diminution de LPR amélioreraient le score neurologique. Le lien d'association est physiopathologique et statistique sans qu'une causalité formelle soit démontrée. D'autres travaux à plus grande échelle seront nécessaires pour établir un lien de cause à effet.
Abstract
BACKGROUND/OBJECTIVE: We have recently developed monitoring from the injury site in patients with acute, severe traumatic spinal cord injuries to facilitate their management in the intensive care unit. This is analogous to monitoring from the brain in patients with traumatic brain injuries. This study aims to determine whether, after traumatic spinal cord injury, fluctuations in the monitored physiological, and metabolic parameters at the injury site are causally linked to changes in limb power.
METHODS: This is an observational study of a cohort of adult patients with motor-incomplete spinal cord injuries, i.e., grade C American spinal injuries association Impairment Scale. A pressure probe and a microdialysis catheter were placed intradurally at the injury site. For up to a week after surgery, we monitored limb power, intraspinal pressure, spinal cord perfusion pressure, and tissue lactate-to-pyruvate ratio. We established correlations between these variables and performed Granger causality analysis.
RESULTS: Nineteen patients, aged 22-70 years, were recruited. Motor score versus intraspinal pressure had exponential decay relation (intraspinal pressure rise to 20 mmHg was associated with drop of 11 motor points, but little drop in motor points as intraspinal pressure rose further, R = 0.98). Motor score versus spinal cord perfusion pressure (up to 110 mmHg) had linear relation (1.4 motor point rise/10 mmHg rise in spinal cord perfusion pressure, R = 0.96). Motor score versus lactate-to-pyruvate ratio (greater than 20) also had linear relation (0.8 motor score drop/10-point rise in lactate-to-pyruvate ratio, R = 0.92). Increased intraspinal pressure Granger-caused increase in lactate-to-pyruvate ratio, decrease in spinal cord perfusion, and decrease in motor score. Increased spinal cord perfusion Granger-caused decrease in lactate-to-pyruvate ratio and increase in motor score. Increased lactate-to-pyruvate ratio Granger-caused increase in intraspinal pressure, decrease in spinal cord perfusion, and decrease in motor score. Causality analysis also revealed multiple vicious cycles that amplify insults to the cord thus exacerbating cord damage.
CONCLUSION: Monitoring intraspinal pressure, spinal cord perfusion pressure, lactate-to-pyruvate ratio, and intervening to normalize these parameters are likely to improve limb power.