Anaphylaxie après pose de cathéters imprégnés de chlorhexidine
A case series of anaphylaxis to chlorhexidine-impregnated central venous catheters in cardiac surgical patients.
Baird PA, Cokis CJ
Anaesthesia and intensive care, décembre 2018, volume 47, pages 85-89
Commentaire
Par Adrien Schmand (DESAR) et le Pr Dan Benhamou
Introduction
La chlorhexidine est un antiseptique répandu et considéré comme le plus bactéricide. De fait, cette molécule est recommandée dans de nombreux protocoles de détersion cutanée (anesthésie péridurale, rachianesthésie, pose de voie veineuse centrale, préparation chirurgicale) et largement utilisée.
L’hypersensibilité à la chlorhexidine est un phénomène ayant une incidence de 7 à 9 % selon les séries tandis que l’anaphylaxie (symptômes graves), bien que sous-estimée, reste rare et concerne 0,78/100 000 patients selon le 6th National Audit Project (NAP6) conduit en 2018 par le Royal College of Anaesthetists. Néanmoins, elle serait largement sous-estimée et, selon le NAP6, elle constitue le 3ème allergène responsable d’anaphylaxie en période péri opératoire après les curares et les beta-lactamines.
Cas cliniques
L’étude suivante est une série de cas rapportée dans un centre australien concernant des patients pris en charge au bloc opératoire pour une chirurgie cardiaque. Dans les 3 cas cliniques présentés ici, il s’agit de patients âgés entre 71 et 76 ans bénéficiant d’une chirurgie valvulaire ou d’un pontage coronarien. L’induction anesthésique était faite de manière similaire pour les trois patients par fentanyl, pancuronium et propofol. Les patients avaient, après l’induction, la pose d’un cathéter veineux central imprégné en chlorhexidine. Dans les trois cas, un choc anaphylactique survenait de manière décalée avec l’induction (15 à 30 minutes plus tard), avec une clinique caractéristique (hypotension réfractaire au remplissage, rash cutané, bronchospasme, œdème lingual et laryngé). Le diagnostic d’anaphylaxie à la chlorhexidine était alors posé sur des arguments cliniques (symptomatologie et temporalité) et paracliniques. La tryptase était dosée à H1, H4 et H24 chez les 3 patients et les Prick Test se positivaient pour la chlorhexidine, témoignant d’une réaction IgE médiée. Il était même réalisé chez le 3ème patient un dosage spécifique des IgE à la chlorhexidine. Dans les 3 cas, les symptômes régressaient et l’état de choc était contrôlé avec l’administration d’adrénaline.
Discussion
Les cathéters imprégnés à la chlorhexidine ont pour but de réduire le taux d’infection liée au cathéter. Néanmoins les preuves de leur efficacité demeurent faibles, certaines études ont montré une diminution du taux de colonisation des cathéters sans démontrer une baisse d’incidence des infections liés au cathéter. De plus, il est désormais bien établi que la durée d’implantation du cathéter veineux central est un facteur déterminant dans la survenue d’infection. En conséquence, les auteurs proposent ici de nouvelles indications, plus restreintes, à la mise en place d’un cathéter imprégné en chlorhexidine en chirurgie cardiaque. Celles-ci se limitent alors aux cathéters de longue durée (supérieure à 7 jours), posés dans un contexte d’urgence ou sur des terrains particuliers (déficit immunitaire, greffe d’organe solide).
La chlorhexidine existe sous de nombreuses formes galéniques et sa présence dans certains produits est parfois méconnue des médecins. Il existe, par exemple, des gels mêlant lidocaïne et chlorhexidine, utilisés en urologie, notamment pour les sondages difficiles. Ces produits sont, dans ce cas, employés par les infirmières, sans prescription médicale, et l’exposition des patients à la chlorhexidine est alors méconnue. Le secteur de la dentisterie est également un potentiel pourvoyeur d’anaphylaxie à la chlorhexidine par l’utilisation de gel pour muqueuses et de dentifrices contenant de la chlorhexidine. Il existe alors une exposition à l’allergène avec un passage vasculaire à l’occasion d’une plaie gingivale. Evoquons enfin la pose de voie veineuse périphérique et les prélèvements sanguins veineux pour lesquels différents antiseptiques peuvent être utilisés comme la povidone iodée, l’alcool à 70° ou les dérivés chlorés. En effet, la chlorhexidine reste largement employée dans cette indication, y compris en dehors des structures hospitalières, exposant un nombre important de patients.
Alors que la chlorhexidine est un excellent antiseptique, recommandé dans de nombreuses indications (notamment en solution alcoolique pour en renforcer la puissance), elle est aussi à l’origine de complications anaphylactiques dont la fréquence serait telle qu’il est nécessaire d’évoquer systématiquement cette cause dans les accidents périopératoires.
Abstract
We report a case series of anaphylaxis to chlorhexidine-coated central venous catheters (CVCs) when used in cardiac surgical patients in our institution. Our experience, together with increasing reports of anaphylaxis to chlorhexidine-coated CVCs from other sources indicates that chlorhexidine-coated CVCs are not without additional risk. Attempts to lower rates of catheter-related bloodstream infection has led to the widespread adoption of chlorhexidine-coated CVCs in the perioperative and critical care setting, including for routine cardiac surgery. However, closer scrutiny indicates that there is lack of strong evidence demonstrating a meaningful reduction in rates of sepsis or serious morbidity, especially with CVC dwell times of less than seven days. Given the lack of clear benefit, we recommend non-coated CVCs for routine cardiac surgery, with even consideration for chlorhexidine-coated CVCs when specifically indicated for patients at high risk of CVC infection.