Pas de différence de morbi-mortalité entre HEA et NaCl 0,9% chez les patients à haut risque chirurgical : résultats de l'étude FLASH trial
Effect of Hydroxyethyl Starch vs Saline for Volume Replacement Therapy on Death or Postoperative Complications Among High-Risk Patients Undergoing Major Abdominal Surgery: The FLASH Randomized Clinical Trial.
Futier E, Garot M, Godet T, Biais M, Verzilli D, Ouattara A, Huet O, Lescot T, Lebuffe G, Dewitte A, Cadic A, Restoux A, Asehnoune K, Paugam-Burtz C, Cuvillon P, Faucher M, Vaisse C, El Amine Y, Beloeil H, Leone M, Noll E, Piriou V, Lasocki S et al.
JAMA, 21 janvier 2020, volume 323, pages 225-236
Commentaire
Par Drs Gohari et Z. Bouzit
Introduction
L’expansion volémique constitue la première ligne thérapeutique chez les patients hypovolémiques dans un contexte péri-opératoire. Les stratégies actuelles de remplissage vasculaire tendent cependant à réfléchir à des protocoles adaptés et individualisés afin d’éviter les effets délétères d’une stratégie de remplissage libérale (oedème tissulaire, complications respiratoires et infectieuses, dysfonction rénale). Dans le cadre de ces réflexions, le choix du soluté de remplissage constitue un sujet de controverse important. Si l’administration de colloïdes chez les patients de réanimation en choc septique a été remise en question en raison d’une morbi-mortalité rapportée plus élevée (décès, insuffisance rénale, coagulopathie), on ne peut pas élargir ces précautions de non-emploi aux patients chirurgicaux car les mécanismes de physiologie ne sont pas les mêmes chez ces deux catégories de patients. L’administration péri-opératoire de colloïdes type hydroxy-éthyl-amidon (HEA), dont le pouvoir d’expansion volémique et la durée d’effet seraient supérieurs à ceux des cristalloïdes, pourrait permettre une « épargne volémique », et donc une balance liquidienne moindre en fin de chirurgie à l’origine d’une diminution des complications post opératoires (1). Le bénéfice ainsi que la sécurité de l’utilisation des colloïdes en péri-opératoire restent à confirmer.
L’objectif de l’étude FLASH est de déterminer si l’utilisation péri-opératoire de cristalloïdes ou de colloïdes (HEA) lors d’une stratégie d’optimisation individualisée de la précharge cardiaque est associée à une différence de mortalité et/ou de morbidité en postopératoire de chirurgie abdominale majeure, chez des patients à haut-risque de complications.
Méthodes
Il s’agit d’un essai randomisé contrôlé de phase 3, français, multicentrique (20 centres), en double aveugle, avec analyse en intention de traiter. Etaient inclus les patients majeurs opérés d’une chirurgie abdominale de durée estimée supérieure à 2h. Les patients éligibles à l’inclusion étaient ceux considérés comme à risque modéré ou élevé de développer une complication post opératoire, définis par leur risque de développer une insuffisance rénale aigue post-opératoire (acute kidney injury risk index). Etaient exclus les patients présentant des défaillances d’organes pré-opératoire (insuffisance cardiaque ou rénale).
Les patients étaient randomisés en deux groupes: un groupe recevant en première intention des cristalloïdes (NaCl 0,9%) comme soluté de remplissage, et un autre recevant des colloïdes (HEA 130/0.4). En per-opératoire, les apports liquidiens de base étaient assurés par perfusion continue de cristalloïdes (Ringer Lactate) à un débit maximal de 4 ml/kg/h. Dans les deux groupes, la stratégie de remplissage vasculaire répondait à un algorithme basé sur la réponse à un test de remplissage de 250ml de fluides (test jugé positif et poursuite du remplissage si augmentation du volume d’éjection systolique > 10%), permettant une optimisation individualisée de la précharge cardiaque. Le choix du monitorage était laissé à la discrétion du clinicien. La dose maximale d’HES administrée ne devait pas excéder 30 ml/kg. Au delà de ce volume total calculé par patient, la poursuite du remplissage vasculaire était réalisée avec NaCl 0,9% dans les deux groupes.
Le critère de jugement principal était un critère composite comprenant la mortalité à J14, ou la survenue d’une complication telle que l’insuffisance rénale, l’insuffisance respiratoire aigüe, l’insuffisance cardiaque aigüe, une complication infectieuse sévère ou la reprise chirurgicale. Il existait 13 critères de jugement secondaires comprenant, le décès à J28 et J90, la survenue de complications rénales, pulmonaires, cardiovasculaires, infectieuses ou chirurgicales jusqu’à J14, l’admission en réanimation, la durée de séjour moyenne en réanimation ou à l’hôpital. L’analyse post hoc a permis d’étudier d’autres facteurs tels que les complications post opératoires jusqu’à J28, la balance liquidienne péri-opératoire, les besoins transfusionnels, et les besoins en vasopresseurs.
La morbi-mortalité attendue étant de 25% dans ce type de chirurgie et chez cette population (20% de morbidité et 5% de mortalité), le nombre de sujets nécessaires à inclure était de 826, pour montrer une différence de morbi-mortalité d’au moins 10% entre les deux groupes. Deux analyses intermédiaires ont été réalisées. Un p < 0,05 était considéré significatif.
Résultats
Entre février 2016 et mai 2018, 826 patients ont été inclus et 818 ont été randomisés dans l’étude (409 dans le groupe NaCl et 408 dans le groupe HEA). Les populations étaient comparables concernant leurs comorbidités et le type de chirurgie réalisée.
En per opératoire, le volume de soluté administré était significativement moins important dans le groupe HEA (médiane de 1000 ml versus 1250 ml, p=0.005), sans différence entre les deux groupes concernant les apports liquidiens de base par Ringer Lactate (médiane 1500 ml). La dose moyenne d’HEA administrée était de 33.4 ml/kg (écart type 3.4) et 34.6 ml/kg dans le groupe NaCl (écart type 5.8) (p=0.15).
En ce qui concerne le critère de jugement principal il n’y avait pas de différence significative sur le critère composite entre les deux groupes à J14 (36% dans le groupe HEA versus 32% dans le groupe NaCl, RR 1.10 IC95 [0.91-1.34], p=0.33). Concernant les critères de jugement secondaires, il existe une tendance non significative concernant la survenue d’une insuffisance rénale aigue à J14 en défaveur du groupe HEA (22% dans le groupe HEA versus 16% dans le groupe NaCl, RR 1.34 IC95 [1.00-1.80], p=0.05). Cette différence concernant la survenue d’une insuffisance rénale aigue post opératoire n’est significative que pour l’IRA KDIGO 1 (15% dans le groupe HEA versus 10% dans le groupe NaCl, RR 1.61 IC95 [1.04-2.48], p=0.03). Aucune différence significative n’est retrouvée pour des stades d’insuffisance rénale plus sévères (KDIGO 2 et 3). Les analyses post-hoc retrouvent une différence significative concernant la survenue plus fréquente d’insuffisance rénale aigue à J28 dans le groupe HEA (23% versus 17%, RR 1.36 IC95 [1.02-1.82], p=0.04), ainsi qu’un recours à la transfusion plus fréquent dans le groupe HEA (19% versus 12%, RR 1.65 IC95 [1.18-2.33], p=0.003). Par ailleurs, ces mêmes analyses retrouvent des besoins per-opératoires en noradrenaline significativement plus faibles dans le groupe HEA (médiane 0.04 mg/kg/min versus 0.06mg/kg/min, p=0.01), ainsi qu’une balance liquidienne à J1 en faveur des HEA (mediane de +3200 ml dans le groupe HEA versus +3800 ml dans le groupe NaCl, p <0.001). Ce bénéfice sur la balance liquidienne ne semble pas persister au delà de J1 puisqu’à J2 elle est significativement plus positive dans le groupe HEA (mediane de +200 ml dans le groupe HEA versus -100 ml dans le groupe NaCl, p <0.02). En parallèle, il semble exister un bénéfice significatif mais cliniquement modeste sur la diurèse à J1 dans le groupe HEA (mediane de 375 ml dans le groupe HEA versus 300 ml dans le groupe NaCl, p <0.03), mais qui ne persiste également pas à J2 (mediane de 1250 ml dans le groupe HEA versus 1400 ml dans le groupe NaCl, p <0.02).
Conclusion des auteurs et discussion
Les auteurs concluent que « chez des patients à haut risque de complications rénales en post-opératoire de chirurgie abdominale majeure, une stratégie de remplissage vasculaire basée sur l’HEA versus NaCl 0.9% n’entraîne pas de différence significative sur un critère composite de morbi/mortalité à J14 ».
Cette étude comporte plusieurs forces, à savoir le caractère multicentrique, randomisé, et le double aveugle. L’élaboration d’un protocole rigoureux d’optimisation hémodynamique individualisée per-opératoire est également une force à souligner, qui résout la problématique de la variabilité du monitorage hémodynamique choisi. Cependant, la conclusion des auteurs est à interpréter avec précaution puisque, absence de preuve n’est pas preuve d’absence, et cette non-différence ne garantit pas l’innocuité du colloïde, d’autant que l’analyse des critères de jugement secondaires semble suggérer, en cohérence avec les données de la littérature, davantage d’insuffisance rénale aigue post-opératoire de stade KDIGO 1. Les éléments qui poussent à interpréter les résultats avec précaution sont, un probable manque de puissance (intention de traiter modifiée avec 775 patients au lieu des 826 nécessaires, critère de jugement principal composite, et deux analyses intermédiaires), des critères de jugement secondaires nombreux et des analyses post hoc sur lesquels aucunes conclusions ne peuvent être tirées. Il faut noter que le protocole n’a pas été respecté chez tous les patients puisque la dose maximale des 30 ml/kg a été dépassé chez certains du groupe HEA. Par ailleurs, d’autres paramètres auraient été intéressants à explorer. D’éventuelles manifestations anaphylactoïdes liées à l’administration de colloïdes ne semblent pas avoir été recherchées. Aussi, même si les données biologiques ne semblent pas montrer une majoration du taux d’acidose hyperchlorémique dans le groupe NaCl, il aurait probablement été plus intéressant de comparer les HEA à un soluté balancé tel que le Ringer Lactate.
Les résultats les plus intéressants de cette étude, concernent probablement ceux de la balance liquidienne. Le postulat initial consistant à penser que l’administration de colloïdes permettrait une réduction de morbi-mortalité reposait en grande partie sur une épargne attendue en terme de remplissage vasculaire péri-opératoire. Dans ce sens, les bénéfices quant à l’administration d’HEA restent minces dans l’étude FLASH. En effet la différence de remplissage per-opératoire, certes significative, est cliniquement peu pertinente (250 ml), et il n’existe par ailleurs aucun bénéfice sur la diurèse péri-opératoire. Il est possible que cette faible différence concernant le volume de remplissage soit liée au volume « généreux » des tests de remplissage réalisés dans le protocole (250 ml). Cependant, la validité des « mini fluid challenge » n’était pas encore établie au moment où ce protocole a été élaboré.
Les résultats de l’étude FLASH n’encouragent pas à l’utilisation des HEA dans ce contexte. Un effet délétère reste possible, particulièrement sur la fonction rénale, pour des bénéfices cliniques qui paraissent finalement minces. Le facteur déterminant le pronostic dans la stratégie de remplissage vasculaire péri-opératoire semble plutôt être le volume, que le choix du soluté.
Abstract
Importance: It is not known if use of colloid solutions containing hydroxyethyl starch (HES) to correct for intravascular deficits in high-risk surgical patients is either effective or safe.
Objective: To evaluate the effect of HES 130/0.4 compared with 0.9% saline for intravascular volume expansion on mortality and postoperative complications after major abdominal surgery.
Design, Setting, and Participants: Multicenter, double-blind, parallel-group, randomized clinical trial of 775 adult patients at increased risk of postoperative kidney injury undergoing major abdominal surgery at 20 university hospitals in France from February 2016 to July 2018; final follow-up was in October 2018.
Interventions: Patients were randomized to receive fluid containing either 6% HES 130/0.4 diluted in 0.9% saline (n = 389) or 0.9% saline alone (n = 386) in 250-mL boluses using an individualized hemodynamic algorithm during surgery and for up to 24 hours on the first postoperative day, defined as ending at 7:59 am the following day.
Main Outcomes and Measures: The primary outcome was a composite of death or major postoperative complications at 14 days after surgery. Secondary outcomes included predefined postoperative complications within 14 days after surgery, durations of intensive care unit and hospital stays, and all-cause mortality at postoperative days 28 and 90.
Results: Among 826 patients enrolled (mean age, 68 [SD, 7] years; 91 women [12%]), 775 (94%) completed the trial. The primary outcome occurred in 139 of 389 patients (36%) in the HES group and 125 of 386 patients (32%) in the saline group (difference, 3.3% [95% CI, -3.3% to 10.0%]; relative risk, 1.10 [95% CI, 0.91-1.34]; P = .33). Among 12 prespecified secondary outcomes reported, 11 showed no significant difference, but a statistically significant difference was found in median volume of study fluid administered on day 1: 1250 mL (interquartile range, 750-2000 mL) in the HES group and 1500 mL (interquartile range, 750-2150 mL) in the saline group (median difference, 250 mL [95% CI, 83-417 mL]; P = .006). At 28 days after surgery, 4.1% and 2.3% of patients had died in the HES and saline groups, respectively (difference, 1.8% [95% CI, -0.7% to 4.3%]; relative risk, 1.76 [95% CI, 0.79-3.94]; P = .17).
Conclusions and Relevance: Among patients at risk of postoperative kidney injury undergoing major abdominal surgery, use of HES for volume replacement therapy compared with 0.9% saline resulted in no significant difference in a composite outcome of death or major postoperative complications within 14 days after surgery. These findings do not support the use of HES for volume replacement therapy in such patients.
Trial Registration: ClinicalTrials.gov Identifier: NCT02502773.