Rôle de l'hypotension sur la fonction rénale chez les patients de réanimation
Relative Hypotension and Adverse Kidney-related Outcomes Among Critically Ill Patients with Shock- A Multicenter Prospective Cohort Study
Panwar R, Tarvade S, Lanyon N, Saxena M, Bush D, Hardie M, Attia J, Bellomo R, Van Haren F, REACT Shock Study Investigators and Research Coordinators.
American journal of respiratory and critical care medicine, 15 novembre 2020, volume 202, pages 1407-1418
Commentaire
Par Martin EIDESHEIM (DESAR) et le Dr Anatole HARROIS (MCU-PH)
Introduction
L’état de choc est une cause fréquente d’admission en réanimation et s’accompagne souvent d’une altération de la fonction rénale.
La correction de l’hypotension et le maintien d’un niveau de pression artérielle adéquate sont les pierres angulaires de la prise en charge de l’état de choc. Ainsi, au cours du choc septique, les recommandations proposent de cibler une pression artérielle moyenne (PAM) ≥ 65mmHg voire ≥ 70mmHg chez les patients hypertendus chroniques. Cependant, chaque patient a un niveau de pression artérielle habituelle (hors état de choc) qui lui est propre.
Le but de cette étude était d’explorer l’association entre la profondeur et la durée de l’hypotension relative (c’est-à-dire, la différence entre la pression artérielle atteinte au cours de la réanimation et la pression artérielle habituelle du patient) et la survenue d’une insuffisance rénale aigue (IRA) ou d’évènements majeurs rénaux chez des patients de réanimation sous vasopresseurs.
Matériels et méthodes
Il s’agit d’une étude observationnelle, multicentrique réalisée dans 7 réanimations médico-chirurgicales australiennes entre juillet 2014 et décembre 2017. Tous les patients de plus de 40 ans, admis depuis moins de 48 heures en réanimation, nécessitant l’administration de vasopresseurs pendant plus de 4 heures et la mise en place d’une ventilation en pression positive étaient inclus. Les insuffisants rénaux chroniques terminaux et les patients ayant une indication à l’épuration extra-rénale n’étaient pas inclus dans l’étude. Le déficit de pression de perfusion moyenne au cours de la réanimation (PPC définie par pression artérielle moyenne – pression veineuse centrale=PAM-PVC) était défini comme le pourcentage de différence par rapport à la PPM de base. Le temps passé avec un déficit de PPM de plus de 20% au cours de la réanimation était également mesuré. Le critère de jugement principal était la survenue d’une IRA grade 2 ou 3 de la classification de KDIGO ou d’un événement rénal majeur à 14 jours (critères MAKE 14 comprenant : le décès, un doublement de la créatinine, le recours à une épuration extra-rénale) à 14 jours.
Résultats
Sur la période d’inclusion, 1283 personnes étaient éligibles et 302 ont été incluses. La médiane d’âge était de 68 [58-76] ans, 58% (n=175) des patients étaient des hommes, 59% (n=178) étaient porteurs d’une insuffisance rénale chronique et 11% (n= 33) d’une maladie rénale chronique. 67% (n=203) des patients étaient admis en réanimation pour une pathologie médicale et 71% (n=215) présentaient un choc d’étiologie septique. La PAM basale médiane était de 80 [75-86]mmHg et la PPM basale médiane de 77 [71-82]mmHg.
Les recommandations étaient bien suivies avec un niveau de PAM médian pendant l’étude de 73 [71-76]mmHg. Cependant, la médiane de PPM au cours de la réanimation était de 63 [59-66]mmHg et le temps médian passé avec un déficit de PPM > 20% était de 54% [19-82].
L’aire sous la courbe ROC du déficit en PPM était plus élevée que celle de la PAM pour prédire la survenue d’une IRA. L’aire sous la courbe ROC du temps passé avec un déficit de PPM supérieur à 20% était également plus importante que celle du temps passé avec une PAM inférieure à 65mmHg. En régression multivariée, un déficit croissant en PPM (exprimé en %) est associé avec un odds ratio de survenue d’une IRA ou d’un événement MAKE 14 de 5,6% (2,2-9,1; p=0,001) et 5,9% (2,2-9,8; p=0,002) respectivement. Le temps passé avec une PAM inférieure à 65mmHg n’était pas significativement associé à la survenue d’une IRA ou d’un événement MAKE 30 en analyse multivariée.
Discussion/Conclusion
Cette étude est la première à étudier l’association entre l’hypotension relative au cours de la réanimation des états de choc et le devenir des patients. Elle montre que l’hypotension relative (rapportée à la PA avant choc) est fréquente, prolongée et qu’elle est associée à un risque accru de développer une IRA ou un événement MAKE 14. L’analyse est bien conduite et le caractère multicentrique associé à des niveaux de PPM et d’incidence d’IRA similaires à ceux rapportés dans la littérature donnent un certain degré de validité externe. Toutefois, l’étude demeure rétrospective et ne peut que rapporter une association et pas un rapport de cause à effet. Néanmoins, l’étude soulève l’intérêt d’explorer une stratégie qui définit de façon individuelle l’objectif de PAM au cours des états de choc en prenant en compte la PAM basale des patients.