Faut-il utiliser maintenant l'aspirine pour la prévention thrombose-embolique après PTG ou PTH ?
Aspirin or Rivaroxaban for VTE Prophylaxis after Hip or Knee Arthroplasty
Anderson DR, Dunbar M, Murnaghan J, Kahn SR, Gross P, Forsythe M, Pelet S, Fisher W, Belzile E, Dolan S, Crowther M, Bohm E, MacDonald SJ, Gofton W, Kim P, Zukor D, Pleasance S, Andreou P, Doucette S, Theriault C, Abianui A, Carrier M, Kovacs MJ et al.
The New England journal of medicine, 22 février 2018, volume 378, pages 699-707
Commentaire
Par Dr Vincent BERTHOD (DESAR) et le Pr Dan BENHAMOU
Contexte
Cet article se penche sur l’utilisation de l’aspirine dans la prévention des événements thrombo-emboliques veineux (ETEV) après mise en place d’une prothèse de hanche (PTH) ou de genou (PTG). Ce changement de paradigme est lié à deux paramètres :
- La mise en évidence au cours des dernières années que le risque d’ETEV postopératoire a diminué de façon importante, probablement en rapport avec une moindre agressivité des actes chirurgicaux réduisant l’inflammation postopératoire et la récupération accélérée après chirurgie (RAAC)
- La prise de conscience que les ETEV observés dans les études anciennes étaient le plus souvent des événements phlébographiques ou échographiques (asymptomatiques dans l’immense majorité des cas), avec une incidence importante (jusqu’à 75 % des cas) conduisant au fait que les chercheurs ne mesurent plus maintenant que les thromboses symptomatiques (avec une incidence bien plus faible, de l’ordre de 1-3 % environ après PTH ou PTG).
Dans ce contexte, la balance bénéfice-risque (thrombose/hémorragie) pourrait pencher en faveur du risque hémorragique puisqu’avec les anticoagulants modernes, l’incidence des complications hémorragiques est également de l’ordre de 1-3 %. C’est pour cela que l’utilisation d’anticoagulants « trop » efficaces est remise en question aujourd’hui. La justification de cette étude pourrait également être économique, à savoir 7 centimes d’euros par jour pour l’aspirine, contre 2,14 euros pour le rivaroxaban (source Vidal). Cela représenterait 10 millions d’euros par an d’économie en France (en se basant sur le protocole de l’étude).
Méthodes
Dans cette étude, l’aspirine n’est pas strictement comparée au traitement de référence à savoir les anticoagulants oraux directs (ici le rivaroxaban 10 mg/j). Les auteurs reprennent la même méthodologie qu’une étude similaire de 2011, de la même équipe, comparant l’enoxaparine à l’aspirine (EPCAT I, 2011, Anderson), qui démontrait une non-infériorité de cette dernière. Dans une première période postopératoire, les deux groupes reçoivent du rivaroxaban (10 mg/j) pendant 5 jours. Les patients sont ensuite randomisés pour recevoir soit de l’aspirine (81 mg/j) soit poursuivre le rivaroxaban (10 mg/j). Le traitement randomisé est administré jusqu’à J14 pour une PTG et J35 pour une PTH. Le critère de jugement principal d’intéresse à la survenue d’ETEV, cliniquement symptomatique et prouvé secondairement par un examen paraclinique.
Résultats
Environ 1700 patients sont randomisés dans chaque groupe. Les patients étaient jeunes (62 ans), en bonne santé (jamais opérés dans 97% des cas), les chirurgiens entrainés (durée en salle d’opération 1h30 - saignement 300 ml), et dans une optique de RAAC (durée de séjour 3,5 jours). L’aspirine apparaît non inférieure au rivaroxaban sans démontrer de supériorité. La survenue d’ETEV est de 0,64% (11/1707) pour le groupe aspirine et 0,7% (12/1717) pour le groupe rivaroxaban, la différence est de 0,06% (IC 95% (-0,55 ; 0,66) p = 0,82). Il n’y a pas de différence de saignement significative entre les deux groupes (saignement significatif sur le plan clinique : aspirine 1,3 % rivaroxaban : 1 %, NS).
Discussion
Globalement c’est une étude bien menée, apportant des arguments supplémentaires pour penser que l’aspirine pourrait être adaptée en prophylaxie de MTEV dans un contexte de chirurgie orthopédique prothétique. Cette étude confirme que la comparaison entre ETEV et hémorragie est aujourd’hui en équipoise, c’est à dire que le deux risques surviennent à des taux similaires avec les méthodes prophylactiques actuelles. Il faut cependant prendre en compte pour notre pratique deux remarques :
- Cette étude utilise une période de 5 jours de rivaroxaban avant de switcher pour l’aspirine. Des études ultérieures sont donc nécessaires pour recommander une prophylaxie par aspirine seule.
- Les conditions sont optimales : patients jeunes, chirurgiens entraînés, reprise de marche rapide. L’efficacité de l’aspirine dans une population plus à risque avec une reprise de marche plus tardive n’est pas documenté dans cette étude et le travail reste à faire.
Abstract
BACKGROUND: Clinical trials and meta-analyses have suggested that aspirin may be effective for the prevention of venous thromboembolism (proximal deep-vein thrombosis or pulmonary embolism) after total hip or total knee arthroplasty, but comparisons with direct oral anticoagulants are lacking for prophylaxis beyond hospital discharge.
METHODS: We performed a multicenter, double-blind, randomized, controlled trial involving patients who were undergoing total hip or knee arthroplasty. All the patients received once-daily oral rivaroxaban (10 mg) until postoperative day 5 and then were randomly assigned to continue rivaroxaban or switch to aspirin (81 mg daily) for an additional 9 days after total knee arthroplasty or for 30 days after total hip arthroplasty. Patients were followed for 90 days for symptomatic venous thromboembolism (the primary effectiveness outcome) and bleeding complications, including major or clinically relevant nonmajor bleeding (the primary safety outcome).
RESULTS: A total of 3424 patients (1804 undergoing total hip arthroplasty and 1620 undergoing total knee arthroplasty) were enrolled in the trial. Venous thromboembolism occurred in 11 of 1707 patients (0.64%) in the aspirin group and in 12 of 1717 patients (0.70%) in the rivaroxaban group (difference, 0.06 percentage points; 95% confidence interval [CI], -0.55 to 0.66; P<0.001 for noninferiority and P=0.84 for superiority). Major bleeding complications occurred in 8 patients (0.47%) in the aspirin group and in 5 (0.29%) in the rivaroxaban group (difference, 0.18 percentage points; 95% CI, -0.65 to 0.29; P=0.42). Clinically important bleeding occurred in 22 patients (1.29%) in the aspirin group and in 17 (0.99%) in the rivaroxaban group (difference, 0.30 percentage points; 95% CI, -1.07 to 0.47; P=0.43).
CONCLUSIONS: Among patients who received 5 days of rivaroxaban prophylaxis after total hip or total knee arthroplasty, extended prophylaxis with aspirin was not significantly different from rivaroxaban in the prevention of symptomatic venous thromboembolism. (Funded by the Canadian Institutes of Health Research; ClinicalTrials.gov number, NCT01720108 .).