Perioperative Myocardial Injury After Noncardiac Surgery: Incidence, Mortality, and Characterization.
Puelacher C, Lurati Buse G, Seeberger D, Sazgary L, Marbot S, Lampart A, Espinola J, Kindler C, Hammerer A, Seeberger E, Strebel I, Wildi K, Twerenbold R, du Fay de Lavallaz J, Steiner L, Gurke L, Breidthardt T, Rentsch K, Buser A, Gualandro DM et al.
Circulation, 20 mars 2018, volume 137, pages 1221-1232
Commentaire
Par Laura Medina (DESAR) et le Pr Dan Benhamou
Contexte de l’étude : les atteintes myocardiques périopératoires (PMI) ont récemment été mises en avant dans des études (notamment l’étude VISION), comme étant très fréquentes, asymptomatiques, donc souvent méconnues, et pourtant source de mortalité à court et long terme.
Méthodes : il s’agit d’une étude épidémiologique observationnelle, monocentrique, prospective, réalisée dans un hôpital universitaire suisse entre octobre 2014 et novembre 2015. La population sélectionnée était des patients opérés de chirurgie non cardiaque, qui restaient hospitalisés au moins 24h, et qui étaient considérés à risque cardio-vasculaire élevé (âge > 65 ans ou âge > 45 ans avec des antécédents de maladie cardio-vasculaire). Les lésions myocardiques étaient définies comme une augmentation de la valeur absolue de troponine T hypersensible (TnThs) supérieur à 14 ng/L entre la valeurs pré-opératoire et celle mesurée en post-opératoire, ou entre deux valeurs post-opératoires. Le critère de jugement principal était la mortalité à 30 jours toutes causes. Le critère de jugement secondaire était la mortalité à un an toutes causes.
Analyse statistique : calcul d’incidence des lésions myocardiques, de façon globale en post-opératoire, puis ensuite de façon stratifiée selon la classification ESA/ESC reliant le type de chirurgie au risque opératoire. Ensuite, une analyse de l’association entre PMI et la mortalité à 30 jours, puis à un an était réalisée.
Résultats : 2018 patients ont été inclus dans l’étude. 16% des patients analysés ont présenté une PMI en post-opératoire ; l’incidence de PMI variait entre 11% (chirurgie viscérale) et 24% (chirurgie thoracique). La douleur thoracique n’était présente que dans 6% des cas et l’ECG montrait des lésions d’allure ischémique dans seulement 24% des cas. On retrouvait une forte association entre la survenue de lésions myocardiques et la mortalité à court ou long terme. Concernant la mortalité à court terme (30 jours), le taux de décès était de 9,8% dans le groupe qui présentait des lésions myocardiques, versus 1,6% dans le groupe qui n’en présentait pas (HR : 2,7 ; p=0,001). On démontrait également une association avec la mortalité à long terme (un an) qui variait entre 22,5% dans le groupe qui présentait des lésions myocardiques, et 9,3% dans le groupe qui n’en présentait pas (HR : 1,6, p < 0,001). Il existait une relation linéaire entre la mortalité post-opératoire et le degré d’augmentation du taux de troponine : plus l’augmentation était forte, plus le risque de décès augmentait. Le risque de mortalité à court et long terme était plus élevée lorsque la cause de l’augmentation de la TnThs était d’origine non cardiaque (sepsis, embolie pulmonaire, AVC). Enfin, le risque de mortalité était accru de façon similaire que l’élévation de la TnThs soit isolée ou associée à d’autres signes (cliniques, électriques ou échographiques).
Conclusion et discussion : cette étude démontre que les lésions myocardiques post-opératoires (élévation du taux de troponine) sont très fréquentes. Elles concernent une personne sur 7, dans la population à risque cardio-vasculaire élevé opérés de chirurgie non cardiaque. On peut également constater qu’elles sont fréquemment asymptomatiques (plus de 90% des cas). On note également une forte association entre leur présence et la mortalité de ces patients à court et long terme post-opératoire. Les forces de cette étude sont d’abord une bonne validité interne, avec une étude prospective, qui inclut un nombre importants de patients. Il existe également une bonne validité externe, puisque les résultats sont cohérents avec ceux de précédentes études sur le même sujet telles que l’étude VISION qui fait actuellement référence. Cette étude ajoute aussi plusieurs éléments intéressants :
- Tout d’abord par la mesure pré-opératoire de la TnThs et la comparaison des valeurs non seulement entre la période pré et post-opératoire mais également en analysant le devenir des patients selon la valeur pré-opératoire de la troponine. L’augmentation de la mortalité post-opératoire à court terme est plus forte (atteignant 10%) chez les patients ayant des valeurs élevées en pré-opératoire et ayant augmenté leur TnThs en post-opératoire. La mortalité (toutes causes) à un an est plus élevée dans ce groupe (atteignant 30%) mais est aussi accrue chez les patients à TnThs pré-opératoire élevée sans PMI (15%) et chez les patients avec PMI et TnThs pré-opératoire normale (8%).
- Le second aspect intéressant est l’analyse de la prise en charge de ces patients. Alors que l’on sait déjà que cette augmentation de troponine est cause de mortalité accrue, la prise en charge a été peu intensive. Seulement 52% des patients avec PMI ont été vus par un cardiologue, 11% ont eu une imagerie à visée coronaire et un traitement à visée cardiaque a été institué chez seulement 29% d’entre eux (antiplaquettaire 15%, statine 10%, beta-bloquant 8%, IEC ou sartan 9%). Cette prise en charge légère est en contraste avec les rares études disponibles actuellement qui suggèrent plutôt qu’un traitement intensif réduit le risque.
Limites de l’étude :
- La définition des lésions myocardiques par une augmentation de TnThs de 14 ng/L, est arbitraire.
- Évaluation de la mortalité toutes causes, certes chez des patients à risque cardiovasculaire élevé, mais il n’y a pas le détail des causes de mortalité.
Au total, on conclut à une association entre mortalité et lésions myocardiques asymptomatiques en post-opératoire de chirurgie non cardiaque. Il conviendrait donc d’établir une stratégie de dépistage systématique de ces lésions chez les patients à risque, et surtout une prise en charge post-opératoire standardisée susceptible de diminuer la mortalité.
Abstract
BACKGROUND: Perioperative myocardial injury (PMI) seems to be a contributor to mortality after noncardiac surgery. Because the vast majority of PMIs are asymptomatic, PMI usually is missed in the absence of systematic screening.
METHODS: We performed a prospective diagnostic study enrolling consecutive patients undergoing noncardiac surgery who had a planned postoperative stay of ≥24 hours and were considered at increased cardiovascular risk. All patients received a systematic screening using serial measurements of high-sensitivity cardiac troponin T in clinical routine. PMI was defined as an absolute high-sensitivity cardiac troponin T increase of ≥14 ng/L from preoperative to postoperative measurements. Furthermore, mortality was compared among patients with PMI not fulfilling additional criteria (ischemic symptoms, new ECG changes, or imaging evidence of loss of viable myocardium) required for the diagnosis of spontaneous acute myocardial infarction versus those that did.
RESULTS: From 2014 to 2015 we included 2018 consecutive patients undergoing 2546 surgeries. Patients had a median age of 74 years and 42% were women. PMI occurred after 397 of 2546 surgeries (16%; 95% confidence interval, 14%-17%) and was accompanied by typical chest pain in 24 of 397 patients (6%) and any ischemic symptoms in 72 of 397 (18%). Crude 30-day mortality was 8.9% (95% confidence interval [CI], 5.7-12.0) in patients with PMI versus 1.5% (95% CI, 0.9-2.0) in patients without PMI (<0.001). Multivariable regression analysis showed an adjusted hazard ratio of 2.7 (95% CI, 1.5-4.8) for 30-day mortality. The difference was retained at 1 year with mortality rates of 22.5% (95% CI, 17.6-27.4) versus 9.3% (95% CI, 7.9-10.7). Thirty-day mortality was comparable among patients with PMI not fulfilling any other of the additional criteria required for spontaneous acute myocardial infarction (280/397, 71%) versus those with at least 1 additional criterion (10.4%; 95% CI, 6.7-15.7, versus 8.7%; 95% CI, 4.2-16.7; =0.684).
CONCLUSIONS: PMI is a common complication after noncardiac surgery and, despite early detection during routine clinical screening, is associated with substantial short- and long-term mortality. Mortality seems comparable in patients with PMI not fulfilling any other of the additional criteria required for spontaneous acute myocardial infarction versus those patients who do.
CLINICAL TRIAL REGISTRATION: URL: https://www.clinicaltrials.gov. Unique identifier: NCT02573532.