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Incapacité à détecter l’hypoxémie et l’hypotension survenant en salle en postopératoire : facteurs liés à une fréquence d'évaluation insuffisante par les infirmières

Failure to detect ward hypoxaemia and hypotension: contributions of insufficient assessment frequency and patient arousal during nursing assessments.

Saab R, Wu BP, Rivas E, Chiu A, Lozovoskiy S, Ma C, Yang D, Turan A, Sessler DI

British journal of anaesthesia, octobre 2021, volume 127, pages 760-768

Commentaire, Abstract

Commentaire

Par Dr G. Bazin (DESAR) et Pr D. Benhamou

INTRODUCTION

230 millions de chirurgie sont réalisées annuellement dans le monde. La mortalité dans la période post-opératoire chirurgicale est estimée à 1,3 à 1,9% selon les études, ce qui représente une part importante de la mortalité globale qui serait équivalente à la 3ème cause de mortalité aux Etats-Unis si elle était comptabilisée comme tel. 

Les modalités de surveillance post-opératoire qui consistent en 3 à 4 prises des paramètres vitaux par jour n’ont globalement pas changé sur les dernières dizaines d’années. Ceci contraste avec la gestion péri-opératoire des patients qui a connu de nombreuses avancées notamment avec la prévention de l’hypotension péri-opératoire et l’avènement du monitorage hémodynamique.

L’équipe de recherche du département d’anesthésie de Cleveland travaille depuis une dizaine d’années sur ce sujet et a publié déjà 2 articles en documentant le manque de diagnostic des épisodes hypotensifs et hypoxémiques post-opératoires par les méthodes de surveillance classique. Leur rationnel est que ces épisodes non diagnostiqués sont fréquemment des signes précurseurs de complications plus sévères qui pourraient être prévenues par des actions thérapeutiques si diagnostiquées à temps. 

Dans la suite de leurs précédentes études, cette équipe a publié un nouvel article en 2021 qui s’intéresse à 2 hypothèses :

1.  Les épisodes de désaturation et d’hypotension sont fréquemment non diagnostiqués car ils ont lieu hors des mesures de paramètres vitaux de routine.

2. Le processus de prise de paramètres vitaux réveille les patients normalisant faussement les résultats. 

METHODES

Des patients ayant bénéficié d’une chirurgie abdominale > 2h ont été suivis pendant les 3 premier jours post-opératoires avec des modalités de suivi parallèles mises en place pour chaque patient :

- suivi avec un dispositif Visimobile® (monitoring mobile continu incluant une mesure de la fréquence cardiaque, de la fréquence respiratoire, de la pression artérielle, de la température et de la SpO2). L’équipe médicale était aveugle des données du dispositif ;

- suivi standard avec prise de paramètres vitaux par les infirmiers. 

Les critères de jugement principaux (correspondant aux 2 hypothèses) ont été analysés :

1. Nombre et pourcentage d’épisodes d’hypotension ou désaturation survenant hors des prises des paramètres vitaux de routine : épisodes d’hypotension définis par PAM < 70mmHg pendant au moins 15min, épisodes d’hypoxémie définis par SpO2 < 90% pendant au moins 30min

2. Régression d’un épisode hypotensif et de désaturation dans les 30min suivant la prise de paramètres vitaux.

Les critères de jugement secondaires ont été les suivants :

1. Durée des épisodes hypotensifs ou hypoxémiques.

2. Incidence d’épisodes cumulés d’hypotension et hypoxémie.

RESULTATS

Un total de 782 patients a été pris en compte dans l’analyse finale de cette étude. 

Les patients ayant présenté un épisode hypotensif ou hypoxémique avaient en moyenne respectivement 49 et 55 ans, et un IMC de 26 et 29 kg/m2. Il s’agissait à plus de 90% de chirurgies colorectales. Les patients avaient par ailleurs comme comorbidités principales un antécédent de cancer dans 25 à 37% des cas et une pathologie pulmonaire interstitielle dans 27 à 45% des cas. 

On retrouve :

- 878 épisodes d’hypotension recensés chez 163 patients , à 79% des épisodes hypotensifs surviennent hors des prises des paramètres vitaux de routine

- 2893 épisodes d’hypoxémie recensés chez 291 patients, à 83% des épisodes d’hypoxémie surviennent hors des prises de paramètres vitaux de routine

Parmi un total de 171 épisodes d’hypotension survenant 5 à 15min avant les tours infirmiers, on retrouve une augmentation moyenne de PAM de 2 mmHg dans les 30 min suivant le passage infirmier, différence jugée non significative.

Parmi un total de 628 épisodes d’hypoxémie survenant 5 à 15 min avant les tours infirmiers, on retrouve une augmentation moyenne de 2% de SpO2 jugée également non significative.

Le passage des infirmiers ne normalise donc pas faussement la mesure des paramètres vitaux. 

Concernant l’hypotension : les épisodes ont une durée plus d'1 min chez 48% des patients et les  patients présentent une durée cumulée d’hypotension de 29 min sur la période de suivi de 72h.

Concernant l’hypoxémie : les épisodes ont une durée > 1min chez 83% des patients et les patients présentent une durée cumulée d’hypoxémie de 138min sur la période de suivi.

Des épisodes simultanés avec hypotension et hypoxémie ont lieu chez seulement 14% des patients. 


DISCUSSION

Cette étude montre que 4/5 des épisodes d’hypotension et hypoxémie définis selon les critères de l’étude ne sont pas détectés par la surveillance de paramètres vitaux de routine. Ces chiffres sont à mettre en perspective avec le choix des seuils de PAM < 70mmHg et SpO2 < 90% qui sont choisis par les auteurs sans connaissance exacte des seuils post-opératoire susceptibles d’entraîner des dommages significatifs ultérieurs. De plus le choix de la durée (15 et 30min de chaque épisode), et les intervalles de 6h utilisés pour la surveillance dans le groupe contrôle, alors que certains services réalisent des surveillances plus rapprochées pour les patients fragiles, peuvent contribuer à exagérer faussement ces résultats.

Cependant les seuils choisis restent cliniquement pertinents et le taux très important d’épisodes non diagnostiqués indique clairement l’insuffisance de la surveillance de routine. On peut noter également que les patients inclus dans l’étude sont une population spécifique avec de lourdes comorbidités (2/3 des patients ont un score ASA 3 ou plus), ceci pouvant favoriser la survenue importante d’épisodes hypotensifs ou hypoxémiques. 

L’objet de l’étude n’était pas d’évaluer le retentissement des épisodes hypotensifs et hypoxémiques sur la survenue de complications. Des études préalables ont déjà démontré que des anomalies dans les paramètres vitaux précèdent la survenue de complications et que l’hypotension dans la période post-opératoire est associée à la survenue d’ischémie myocardique. Cependant des études ultérieures mettant en évidence l’impact thérapeutique du meilleur suivi des patients et la moindre incidence de complications seraient intéressantes afin de confirmer la pertinence de telles modalités de surveillance en continu des patients. 


PERSPECTIVES

            La population hospitalière, notamment les patients chirurgicaux, a évolué sur les dernières dizaines d’années avec une proportion accrue de patients plus âgés avec davantage de comorbidités. Cependant les modalités de prise en charge et le suivi de ces patients dans la période post-opératoire n’ont que très peu évolué. Ces changements incitent à une réflexion sur l’organisation de l’hôpital notamment au vu de la tendance actuelle de la diminution du nombre de lits et de l’avènement de la prise en charge ambulatoire. Une nouvelle organisation semble progressivement se dessiner avec d’une part de nombreux patients non ou peu comorbides pris en charge en ambulatoire (ou avec une durées d’hospitalisation courte dans le cadre des programmes de réhabilitation améliorés après chirurgie [RAC]), et d’autre part des patients plus fragiles pris en charge dans des lits de surveillance continue afin de détecter précocement les complications. Avec cette nouvelle organisation, les lits d’hospitalisation conventionnelle seraient voués à diminuer progressivement avec une augmentation parallèle des lits ambulatoires et des lits de soins intensifs. 

Le déploiement du monitorage mobile continu dans les services d’hospitalisation conventionnelle pourrait être un moyen pour limiter l’extension des unités de surveillance continue. De plus ces appareillages mobiles et légers peuvent être relayés au niveau du poste de soins ou sur un appareil porté dans la poche de l’infirmière alertant celle-ci en temps réel des anomalies importantes de ces paramètres vitaux. Cette notion se rapporte au concept moderne de la détection précoce des signes d’aggravation dont beaucoup d’experts espèrent une amélioration du pronostic par la précocité du diagnostic et donc du traitement.

Abstract

BACKGROUND: Postoperative hypotension and hypoxaemia are common and often unrecognised. With intermittent nursing vital signs, hypotensive or hypoxaemic episodes might be missed because they occur between scheduled measurements, or because the process of taking vital signs arouses patients and temporarily improves arterial blood pressure and ventilation. We therefore estimated the fraction of desaturation and hypotension episodes that did not overlap nursing assessments and would therefore usually be missed. We also evaluated the effect of taking vital signs on blood pressure and oxygen saturation.

METHODS: We estimated the fraction of desaturated episodes (arterial oxygen saturation <90% for at least 90% of the time within 30 continuous minutes) and hypotensive episodes (MAP <70 mm Hg for 15 continuous minutes) that did not overlap nursing assessments in patients recovering from noncardiac surgery. We also evaluated changes over time before and after nursing visits.

RESULTS: Among 782 patients, we identified 878 hypotensive episodes and 2893 desaturation episodes, of which 79% of the hypotensive episodes and 82% of the desaturation episodes did not occur within 10 min of a nursing assessment and would therefore usually be missed. Mean BP and oxygen saturation did not improve by clinically meaningful amounts during nursing vital sign assessments.

CONCLUSIONS: Hypotensive and desaturation episodes are mostly missed because vital sign assessments on surgical wards are sparse, rather than being falsely negative because the assessment process itself increases blood pressure and oxygen saturation. Continuous vital sign monitoring will detect more disturbances, potentially giving clinicians time to intervene before critical events occur.

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