Bloc suprascapulaire par voie antérieure et abord sous-omohyoidien comparé au bloc interscalénique pour la chirurgie arthroscopique de l’épaule
Subomohyoid Anterior Suprascapular Block versus Interscalene Block for Arthroscopic Shoulder Surgery: A Multicenter Randomized Trial.
Abdallah FW, Wijeysundera DN, Laupacis A, Brull R, Mocon A, Hussain N, Thorpe KE, Chan VWS
Anesthesiology, mars 2020, volume 132, pages 839-853
Commentaire
Par Keyvan Gohari (DESAR) et le Pr Dan BENHAMOU
Introduction
Le bloc interscalénique (BIS) représente le Gold Standard en anesthésie loco-régionale (ALR) dans la chirurgie de l’épaule, mais sa réalisation n’est pas dénuée d’effets secondaires (paralysie phrénique, ponction vasculaire, pneumothorax notamment). De nombreuses équipes se sont notamment attelées à la recherche d’alternatives moins pourvoyeuses de paralysie phrénique qui est quasi-constante avec le bloc interscalénique. Plusieurs essais ont évalué le bloc suprascapulaire par voie postérieure et ont mis en évidence son infériorité par rapport au BIS. Ce résultat est probablement expliqué par l’innervation multiple de l’épaule, avec le nerf suprascapulaire mais également le nerf axillaire. Mais surtout par le fait que l’abord postérieur (au niveau de l’encoche de l’omoplate) bloque les branches terminales du nerf suprascapulaire (qui innervent les muscles au niveau de l’omoplate) mais pas celles se séparant plus précocement et qui innervent l’épaule. Une approche différente du bloc suprascapulaire, par voie antérieure cette fois, permettrait d’être également efficace sur le nerf axillaire par diffusion au tronc supérieur du plexus brachial (racines C5-C6). Cette approche est donc plus proximale que la voie d’abord postérieure tout en restant éloignée du nerf phrénique.
Dans cet essai de non-infériorité contrôlé, randomisé, multicentrique, cette équipe canadienne propose de comparer l’efficacité du bloc suprascapulaire par voie antérieure au bloc interscalénique sur la douleur post-opératoire.
Matériel & Méthodes
L’étude incluait 140 patients pris en charge en chirurgie ambulatoire pour une arthroscopie de l’épaule, sous anesthésie générale. Etaient exclus les patients présentant des pathologies bronchopulmonaires, une atteinte du nerf phrénique, des douleurs chroniques, un déficit neurologique pré-existant, une contre-indication à l’ALR, les femmes enceintes.
Le protocole était le suivant:
- Patients randomisés pour recevoir un BIS ou un bloc suprascapulaire, par voie échoguidée, avec injection de ropivacaïne adrénalinée. Pour que les patients soient en aveugle de l’intervention testée, ils recevaient également 1mL de lidocaïne au point de ponction du bloc non réalisé. Aussi, l’anesthésie générale ainsi que la surveillance post-opératoire étaient réalisées par des praticiens différents, en aveugle du bloc réalisé.
- Le succès du bloc était défini par une sensibilité nulle à 30 minutes dans les territoires suprascapulaire et axillaire.
- Les patients bénéficiaient en post-opératoire d’une analgésie multimodale standard, et la douleur était évaluée par échelle numérique (EN) à H0, H6, H12, H18, et H24.
- Les patients recevaient également un calepin permettant de rapporter l’intensité de la douleur post-opératoire de façon quotidienne, et un suivi téléphonique de deux semaines était réalisé pour dépister des complications retardées de l’ALR.
- Le critère de jugement principal était l’aire sous la courbe des différentes valeurs d’EN. Les critères de jugement secondaires comprenaient l’efficacité du bloc sensitif et moteur, d’autres résultats sur la qualité d’analgésie (satisfaction du patient, effets indésirables des opioïdes, délai entre l’arrivée en SSPI et la 1ère douleur rapportée…), les complications immédiates ou retardées de l’ALR.
Résultats
140 patients ont été inclus et randomisés dans les deux groupes. 4 patients ont été exclus de l’étude (n’ont pas retourné leur calepin à l’issue des deux semaines de suivi). Les deux groupes étaient comparables en terme de caractéristiques démographiques, de comorbidités, de type et durée de chirurgie réalisée.
Le taux de succès du bloc était de 100% dans les deux groupes.
En ce qui concerne le critère de jugement principal, l’intervalle de confiance de la moyenne de l’aire sous la courbe des EN post-opératoire pour le bloc suprascapulaire par voie antérieure ne franchissait pas la borne de non infériorité.
Pour 2 critères secondaires, le bloc suprascapulaire était inférieur au bloc interscalénique: le délai entre l’arrivée en SSPI et la première demande d’antalgique et la consommation de morphiniques en SSPI.
Les patients étaient également questionnés sur le type d’ALR qu’ils pensaient avoir eu, permettant de mettre en évidence un bon fonctionnement de la procédure en aveugle.
Discussion
Il s’agit du premier essai contrôlé et randomisé évaluant le bloc suprascapulaire par voie antérieure dans ce type de chirurgie. Le résultat est en accord avec l’hypothèse testée, à savoir que le blocage du nerf suprascapulaire par voie antérieure permet également par diffusion un blocage du tronc supérieur du plexus brachial, permettant aussi l’anesthésie du nerf axillaire.
La survenue moindre de complications respiratoires liées à la réalisation de ce bloc n’était pas évaluée dans cette étude mais a déjà été mise en évidence lors d’études précédentes. Ainsi, pour ce type de chirurgie, le bloc suprascapulaire par voie antérieure permet une bonne alternative au bloc interscalénique, notamment chez les patients présentant des comorbidités respiratoires. Le résultat de cette étude n’est pas généralisable aux chirurgies non arthroscopiques.
Conclusion
Le bloc suprascapulaire par voie antérieure est non inférieur au bloc interscalénique sur l’analgésie post-opératoire dans la chirurgie arthroscopique de l’épaule.
Abstract
BACKGROUND: Interscalene brachial plexus block, the pain relief standard for shoulder surgery, is an invasive technique associated with important complications. The subomohyoid anterior suprascapular block is a potential alternative, but evidence of its comparative analgesic effect is sparse. The authors tested the hypothesis that anterior suprascapular block is noninferior to interscalene block for improving pain control after shoulder surgery. As a secondary objective, the authors evaluated the success of superior trunk (C5-C6 dermatomes) block with suprascapular block.
METHODS: In this multicenter double-blind noninferiority randomized trial, 140 patients undergoing shoulder surgery were randomized to either interscalene or anterior suprascapular block with 15 ml of ropivacaine 0.5% and epinephrine. The primary outcome was area under the curve of postoperative visual analog scale pain scores during the first 24 h postoperatively. The 90% CI for the difference (interscalene-suprascapular) was compared against a -4.4-U noninferiority margin. Secondary outcomes included presence of superior trunk blockade, pain scores at individual time points, opioid consumption, time to first analgesic request, opioid-related side-effects, and quality of recovery.
RESULTS: A total of 136 patients were included in the analysis. The mean difference (90% CI) in area under the curve of pain scores for the (interscalene-suprascapular) comparison was -0.3 U (-0.8 to 0.12), exceeding the noninferiority margin of -4.4 U and demonstrating noninferiority of suprascapular block. The risk ratio (95% CI) of combined superior trunk (C5-C6 dermatomes) blockade was 0.98 (0.92 to 1.01), excluding any meaningful difference in superior trunk block success rates between the two groups. When differences in other analgesic outcomes existed, they were not clinically important.
CONCLUSIONS: The suprascapular block was noninferior to interscalene block with respect to improvement of postoperative pain control, and also for blockade of the superior trunk. These findings suggest that the suprascapular block consistently blocks the superior trunk and qualify it as an effective interscalene block alternative.