Commentaire de bibliographies du service

Faut-il se servir du Doppler des artères rénales comme indice prédictif d'insuffisance rénale aigüe en réanimation ?

Renal resistive index as an early predictor and discriminator of acute kidney injury in critically ill patients; A prospective observational cohort study.

Haitsma Mulier JLG, Rozemeijer S, Röttgering JG, Spoelstra-de Man AME, Elbers PWG, Tuinman PR, de Waard MC, Oudemans-van Straaten HM

PloS one, 2017, volume 13, pages 0197967

Commentaire, Abstract

Commentaire

Par Dr Thibaut Belveyre (DESAR) et Pr Jacques Duranteau

Contexte

L’insuffisance rénale aigue (IRA) en réanimation est un problème fréquent, grave avec un impact médico-économique non négligeable. 

La physiopathologique de l’insuffisance rénale aigue est multifactorielle (hypoperfusion rénale, inflammation, néphrotoxicité…). La vasoconstriction intra-rénale est un des mécanismes majeurs dans l’insuffisance rénale aigue. Son évaluation en pratique clinique reste limitée et soumise à de nombreux facteurs de confusion, tels que l’âge, la présence de maladies vasculaires ou rénales sous-jacentes. L’étude de l’index de résistivité rénale (IRR) via le doppler des artères intra-rénales est un moyen facile pour évaluer la vasoconstriction intra-rénale.

L’étude présentée ici a pour objectif de déterminer si l’index de résistivité rénale prédit le développement d’une IRA durant la première semaine d’hospitalisation en réanimation.

Matériel et méthode

Il s’agit d’une étude observationnelle prospective monocentrique réalisée à Amsterdam. 

L’objectif principal était de déterminer si l’index de résistivité rénale prédit le développement d’une IRA durant la première semaine d’hospitalisation en réanimation. Les objectifs secondaires étaient de déterminer si l’IRR est associé à la sévérité de l’IRA et si l’IRR à l’admission en réanimation prédit le développement d’une IRA indépendamment des autres facteurs de risque connus. Étaient inclus tous les patients majeurs hospitalisés pendant plus de 24 h en réanimation à l’exclusion des patients avec une échogénicité abdominale médiocre et les patients présentant des facteurs de confusion rénaux (insuffisance rénale chronique, dialyse chronique, transplantation rénale).

Trente-neuf patients en IRA et 39 patients sans IRA devaient être inclus. Pour augmenter le nombre de patient en IRA, la moitié des patients inclus devaient être en choc.

A J1 de l’admission étaient réalisée les mesures suivantes : mesure de l’IRR par échographie-doppler (artères arqués et/ou inter lobaires avec 9 mesures sur chaque rein), microcirculation sublinguale, bio-impédancemétrie, scores de gravité et paramètres de routine : lactatémie, bilan entrée-sortie (BES)

Le suivi était de 7 jours et consistait en la mesure de la créatininémie et la diurèse (critère KDIGO de l’IRA).

Résultat

D’aout 2015 à janvier 2016 étaient analysé 99 patients (pour 518 éligibles), 49 dans le groupe IRA (KDIGO 1 : n = 16, KDIGO 2 : n= 26, KDIGO 3 : n = 7) et 50 dans le groupe sans IRA. Quarante patients était en choc et 59 n’avaient pas de choc associé.

Dans le groupe IRA, les scores de gravité étaient significativement plus élevés, le débit de filtration glomérulaire (DFG) préadmission plus bas, le BES plus important, la créatininémie plus élevée, et une proportion de choc plus importante. L’étude de la bio-impédancemétrie était en faveur d’une moins bonne santé cellulaire chez les patients en IRA.

L’IRR était significativement plus élevé entre le groupe IRA (0.71 (IC 95% 0.69±0.73) vs.0.65 (IC 95% 0.63±0.68), p = 0.001 mais ne permettait pas une prédiction intéressante de l’IRA sur la première semaine en réanimation (aire sous la courbe (ASC) à 0.662 < 0,7).

L’IRR était significativement plus important chez les patients en IRA KDIGO 2 (0.72, IC 95% 0.65±0.80) et KDIGO 3  (0.74, IC 95% 0.67±0.81) que les patients sans IRA (0.65, IC 95% 0.63±0.68), p=0.001 et 0.006 respectivement. L’utilisation de l’IRR chez ces patients permettait une prédiction correcte (ASC à 0.720) avec un seuil estimé à 0.74 (Se = 53%, Spé = 87%).

Après analyse multivariée, l’IRR restait un bon prédicteur de la survenue d’une IRA KDIGO 2 ou 3 indépendant des scores de gravité (APACHE III) et du BES positif. L’association de ces 3 facteurs permettait de trouver une ASC à 0.825 avec une sensibilité à 80% et une spécificité à 71.4%. 

Discussion

L’IRR à l’admission en réanimation permet la prédiction et la discrimination du développement d’une IRA stade 2 et 3 pendant la première semaine d’hospitalisation en réanimation avec une valeur seuil à 0.74. L’association de l’IRR avec la sévérité de la maladie (score APACHE III) et le BES permet une meilleure prédiction.

Le BES positif est un marqueur intéressant puisqu’il peut-être cause et/ou conséquence de l’IRA. On note un intérêt très limité de la microcirculation sublinguale dans cette étude, expliqué par la disparité entre la microcirculation sublinguale et rénale. Le DFG pré admission n’était pas inclut dans l’analyse des facteurs de prédiction puisque ce paramètre est un facteur de confusion majeur.

Les forces de cette étude sont : son caractère prospectif avec une population homogène (patients médicaux et chirurgicaux) et une bonne validité externe. Il s’agit de la plus grande étude dans l’évaluation de la prédictibilité de l’IRR et elle intègre la dernière définition de l’IRA (KDIGO).

Les limites sont : son caractère observationnel, la grande proportion de choc obtenu de manière artificielle, l’absence d’inclusion les weekends, le faible nombre de patient en IRA KDIGO 3 et l’absence de donnée sur l’éventuelle recours à des techniques d’épuration extra-rénale. 


Conclusion

L’index de résistivité rénal peut-être un élément prédictif de l’IRA dans les formes sévères (stade 2 et 3 de KDIGO) en réanimation.

Son intérêt majeur réside dans sa facilité de réalisation au lit du malade.

La détermination d’un seuil d’IRR précis reste néanmoins difficile, les auteurs proposent ici un seuil d’IRR à 0.74. Le seuil de 0.70 doit être considérer comme un signal d’alarme.

L’IRR doit s’intégrer dans une approche multimodale pouvant apprécier également les scores de gravité ou encore le bilan entrée-sortie. Ceci est d’autant plus vrai que l’IRA en réanimation est multifactorielle et ne résulte pas uniquement d’une vasoconstriction intra-rénale. De grandes d’études multicentriques sont nécessaires pour conclure sur ce sujet.  

Abstract

BACKGROUND: Acute kidney injury (AKI) complicates shock. Diagnosis is based on rising creatinine, a late phenomenon. Intrarenal vasoconstriction occurs earlier. Measuring flow resistance in the renal circulation, Renal Resistive Index (RRI), could become part of vital organ function assessment using Doppler ultrasound. Our aim was to determine whether RRI on ICU admission is an early predictor and discriminator of AKI developed within the first week.

METHODS: In this prospective cohort of mixed ICU patients with and without shock, RRI was measured <24-h of admission. Besides routine variables, sublingual microcirculation and bioelectrical impedance were measured. AKI was defined by the Kidney Disease Improving Global Outcomes criteria. Uni- and multivariate regression and Receiver Operating Characteristics curve analyses were performed.

RESULTS: Ninety-nine patients were included, median age 67 years (IQR 59-75), APACHE III score 67 (IQR 53-89). Forty-nine patients (49%) developed AKI within the first week. AKI patients had a higher RRI on admission than those without: 0.71 (0.69-0.73) vs. 0.65 (0.63-0.68), p = 0.001. The difference was significant for AKI stage 2: RRI = 0.72 (0.65-0.80) and 3: RRI = 0.74 (0.67-0.81), but not for AKI stage 1: RRI = 0.67 (0.61-0.74). On univariate analysis, RRI significantly predicted AKI 2-3: OR 1.012 (1.006-1.019); Area Under the Curve (AUC) of RRI for AKI 2-3 was 0.72 (0.61-0.83), optimal cut-off 0.74, sensitivity 53% and specificity 87%. On multivariate analysis, RRI remained significant, independent of APACHE III and fluid balance; adjusted OR: 1.008 (1.000-1.016).

CONCLUSIONS: High RRI on ICU admission was a significant predictor for development of AKI stage 2-3 during the first week. High RRI can be used as an early warning signal RRI, because of its high specificity. A combined score including RRI, APACHE III and fluid balance improved AKI prediction, suggesting that vasoconstriction or poor vascular compliance, severity of disease and positive fluid balance independently contribute to AKI development.

TRIAL REGISTRATION: ClinicalTrials.gov NCT02558166.

Approfondir

Sur le même thème