Craniectomie décompressive après traumatisme crânien : un bon résultat à 10 ans
Decompressive Craniectomy Is Associated With Good Quality of Life Up to 10 Years After Rehabilitation From Traumatic Brain Injury.
Rauen K, Reichelt L, Probst P, Schäpers B, Müller F, Jahn K, Plesnila N
Critical care medicine, juillet 2020, volume 48, pages 1157-1164
Commentaire
Par Dr S. Vu et Dr A. Rodrigues
Introduction
Le traumatisme crânien représente la première cause de décès chez les enfants et adultes jeunes et est fréquent chez les personnes âgées. La crâniectomie décompressive permet une diminution de l’hypertension intracrânienne (HTIC) mais elle n’améliorait pas les capacités physiques des patients dans les précédentes études évaluant l’effet de la crâniectomie bilatérale sur l’œdème diffus post-traumatisme crânien. Cependant, l’impact de la crâniectomie décompressive sur la qualité de vie à long terme des patients traumatisés crâniens n’a pas été évalué.
Matériel et méthodes
Il s’agit d’une étude non-interventionnelle, en cross-over, étudiant l’effet de la crâniectomie décompressive sur la qualité de vie des patients traumatisés crâniens (DC+) jusqu’à 10 ans après le traumatisme, comparés à des patients non crâniectomisés (DC-). Les patients inclus étaient hospitalisés dans un unique centre de neuro-rééducation, après avoir répondu à un questionnaire de qualité de vie (de façon autonome ou par l’intermédiaire d’un soignant si le patient présentait un handicap moteur et/ou cognitif trop sévère) et avaient tous reçu initialement des soins en réanimation. La qualité de vie était évaluée par un questionnaire nommé QOLIBRI, dont le score s’étend de 0 à 100, analysant le niveau de satisfaction et de restrictions ressenti par le patient sur plusieurs domaines (autonomie, cognition, émotions, relations sociales, activités physiques). Un score QOLIBRI > 60 est en faveur d’une bonne qualité de vie, un score QOLIBRI entre 40 et 60 indique un risque augmenté de développer un état psychiatrique, anxiété ou dépression, alors qu’un score QOLIBRI < 40 révèle un risque augmenté pour ces deux états psychiatriques.
Résultats
Entre 2005 et 2015, 135 patients ont été inclus sur les 439 patients éligibles. L’étude des caractéristiques des patients révèle un possible biais de sélection avec des sujets plus jeunes au moment du traumatisme dans le groupe QOLIBRI comparé au groupe des patients non-répondeurs, ayant nécessité de moins de rééducation et avec un meilleur gain en capacités fonctionnelles à la sortie de rééducation (score modifié de Rankin significativement plus bas).
L’analyse ne retrouve pas de différence significative sur le score QOLIBRI médian avec un score de 75 pour les DC+ contre 67 pour les DC- (p = 0.2). En revanche, le nombre de patients ayant un score QOLIBRI > 60 était significativement plus élevé dans le groupe DC + avec une différence de 8% entre les deux groupes (p = 0.004). Les résultats n’étaient cependant pas significatifs pour un score QOLIBRI entre 40 et 60 et pour un score QOLIBRI < 40. Dans l’analyse de la qualité de vie en fonction de la sévérité initiale du traumatisme crânien, on observe chez les patients classés traumatisme mineur (GCS entre 13 et 15) un score QOLIBRI médian significativement supérieur chez les DC + (83 versus 62, p = 0.028) avec un score > 60 pour tous les patients de ce sous-groupe. Au total, 12 patients sur 18 dans le groupe traumatisme mineur et 7 patients sur 18 dans le groupe traumatisme modéré ont reçu une indication de crâniectomie, suggérant une dégradation secondaire. Concernant l’analyse de la qualité de vie en fonction de l’âge, on note une tendance vers une meilleure qualité de vie chez les patients de 61 à 85 ans avec un QOLIBRI médian de 79 pour les DC+ contre 62 chez les DC-.
Discussion
Cette étude n’a pas permis de montrer de différence sur le score QOLIBRI total chez les patients ayant bénéficié d’une crâniectomie décompressive jusqu’à 10 ans après un traumatisme crânien comparé aux DC-, mais cette différence était significative sur l’étude du score de QOLIBRI > 60 et sur le sous-groupe des patients avec un traumatisme mineur.
La présente étude est la première étude contrôlée étudiant la qualité de vie à long terme. De plus, l‘hospitalisation des patients dans un seul centre de réanimation puis un seul centre de neuro-rééducation assure une homogénéité dans la prise en charge de ces derniers. Cependant, l’étude présente de nombreux biais. Tout d’abord, la petite taille de l’échantillon est une limite importante de cette étude, ainsi que le probable biais de sélection avec une population étudiée moins sévère que les patients non-répondeurs. Par ailleurs, de nombreuses informations neurochirurgicales étaient manquantes: indication de la crâniectomie décompressive (saignement aigu, neuroprotection secondaire), informations sur l’HTIC (prise en charge médicale, pression maximale), taille de la crâniectomie, temps exact entre le traumatisme crânien et la crâniectomie. La possibilité d’un trouble psychiatrique antérieur n’était pas exclue, même si les résultats étaient comparables à une précédente étude avec un grand nombre de patients ayant exclus au préalable les patients avec antécédents psychiatriques. Ainsi, l’interprétation précise des effets bénéfiques de la crâniectomie décompressive est limitée.
Au total, cette étude fournit des données rassurantes sur la qualité de vie à long terme des patients ayant bénéficié d’une crâniectomie décompressive, geste chirurgical invasif sur des patients avec un risque vital, mais ne permet pas de répondre sur l’intérêt réel de cette technique compte-tenu de ces multiples biais.
Abstract
OBJECTIVES: Traumatic brain injury is the number one cause of death in children and young adults and has become increasingly prevalent in the elderly. Decompressive craniectomy prevents intracranial hypertension but does not clearly improve physical outcome 6 months after traumatic brain injury. However, it has not been analyzed if decompressive craniectomy affects traumatic brain injury patients' quality of life in the long term.
DESIGN: Therefore, we conducted a cross-sectional study assessing health-related quality of life in traumatic brain injury patients with or without decompressive craniectomy up to 10 years after injury.
SETTING: Former critical care patients.
PATIENTS: Chronic traumatic brain injury patients having not (n = 37) or having received (n = 98) decompressive craniectomy during the acute treatment.
MEASUREMENTS AND MAIN RESULTS: Decompressive craniectomy was necessary in all initial traumatic brain injury severity groups. Eight percent more decompressive craniectomy patients reported good health-related quality of life with a Quality of Life after Brain Injury total score greater than or equal to 60 compared with the no decompressive craniectomy patients up to 10 years after traumatic brain injury (p = 0.004). Initially, mild classified traumatic brain injury patients had a median Quality of Life after Brain Injury total score of 83 (decompressive craniectomy) versus 62 (no decompressive craniectomy) (p = 0.028). Health-related quality of life regarding physical status was better in decompressive craniectomy patients (p = 0.025). Decompressive craniectomy showed a trend toward better health-related quality of life in the 61-85-year-old reflected by median Quality of Life after Brain Injury total scores of 62 (no decompressive craniectomy) versus 79 (decompressive craniectomy) (p = 0.06).
CONCLUSIONS: Our results suggest that decompressive craniectomy is associated with good health-related quality of life up to 10 years after traumatic brain injury. Thus, decompressive craniectomy may have an underestimated therapeutic potential after traumatic brain injury.