Etude OCTOPUS comparant des combinaisons d'analgésie non morphinique avec de la morphine en postopératoire
Multicentre, prospective, double-blind, randomised controlled clinical trial comparing different non-opioid analgesic combinations with morphine for postoperative analgesia: the OCTOPUS study.
Beloeil H, Albaladejo P, Sion A, Durand M, Martinez V, Lasocki S, Futier E, Verzili D, Minville V, Fessenmeyer C, Belbachir A, Aubrun F, Renault A, Bellissant E, OCTOPUS group.
British journal of anaesthesia, mai 2019, volume 122, pages 98-106
Commentaire
Par Victor de Roucy (DESAR) et le Pr Dan Benhamou
Introduction
Dans la prise en charge de la douleur post-opératoire, la recherche d’une épargne morphinique est aujourd’hui la règle. Ceci permet en théorie de limiter les effets secondaires des opioïdes et ainsi de favoriser la réhabilitation précoce du patient. Le principal moyen d’épargne morphinique réside dans l’analgésie multimodale, dont la pierre angulaire est l’association à la morphine d’un (ou si possible de plusieurs) antalgique(s) non morphinique(s) (ANO), à la recherche d’une interaction synergique. Cette notion est aujourd’hui très largement répandue et le principal antalgique non morphinique utilisé en péri-opératoire est le paracétamol. Les recommandations SFAR réactualisées en 2016 préconisent, elles, d’associer un AINS à la morphine à chaque fois que possible, leur intérêt dans l’épargne morphinique étant très documenté lorsqu’utilisés en monothérapie. Dans une méta-analyse parue en 2017 dans le British Journal of Anaesthesia, V. Martinez et al. rapportent que si l’association paracétamol + AINS semble avoir la meilleure capacité d’épargne morphinique en péri-opératoire, les études s’intéressant aux doubles et triples associations d’ANO sont trop hétérogènes, trop peu nombreuses et de niveau de preuve insuffisant pour documenter de façon solide l’intérêt de ces associations.
Les auteurs de la présente étude entendaient répondre à ces questions dans cette étude prospective multicentrique, randomisée en groupes parallèles et en double aveugle, qui comparait 8 combinaisons différentes d’ANO les unes par rapport aux autres. Le critère principal de jugement était l’épargne morphinique dans les 24 èresheures en post-opératoire de chirurgie majeure. On s’intéressait également à la dose cumulée de morphine à 48 h, aux scores de douleur (EVA) à 24 h et 48 h, aux effets secondaires des morphiniques, et à la survenue d’une hyperalgésie à 3 mois.
Matériel et Méthodes
La population d’étude, issue de 10 centres français, incluait des patients programmés pour une chirurgie nécessitant une PCA morphine en post-opératoire et ne présentant aucune contre-indication aux médicaments à l’étude. Ces patients étaient randomisés en 8 groupes : un groupe contrôle recevant un placebo de sérum salé (C), un groupe paracétamol (P), un groupe néfopam (N), un groupe kétoprofène (K) et 4 groupes correspondants aux différentes associations possibles de ces médicaments : P+N, P+K, N+K et P+N+K. Les populations des 8 groupes étaient comparables après randomisation. Le protocole d’anesthésie et de titration morphinique en SSPI étaient standardisés de façon à ce que seule diffère la composition du traitement à l’étude, administré en double aveugle pendant les 48 èresheures post-opératoires.
Résultats
L’étude a été arrêtée après 42 mois, avant l’inclusion du nombre de sujets nécessaires. La principale raison à cela, en dehors de la lourdeur logistique du protocole ralentissant le rythme des inclusions, a été l’émergence et la généralisation au cours de l’étude de nouveaux protocoles d’analgésie multimodale, tels que l’administration continue peropératoire de lidocaïne + kétamine en intra-veineux. Ce protocole n’ayant pas été prévu dans l’étude, il apparaissait comme discutable sur le plan éthique d’en priver les patients inclus, à fortiori ceux inclus dans le groupe contrôle, dont la monothérapie avec la morphine était perçue comme une perte de chance. Ainsi, seuls 223 patients ont été analysés, contre 1000 calculés à priori.
La conséquence a été un manque de puissance statistique important : sur le critère principal de jugement, seule la triple association P+N+K faisait état d’une différence significative de consommation de morphine par rapport aux groupes C et N. Sur les critères secondaires, seuls les scores de douleur à 24h étaient significativement diminués dans la triple association P+N+K par rapport aux groupes P, N et C, et avec des valeurs à la limite de la pertinence clinique. Aucune différence d’incidence des effets secondaires des morphiniques n’a été mise en évidence.
Discussion
S’il existe une tendance en faveur de la triple association, les conclusions de l’étude restent encore discutables du fait du manque de puissance. L’intérêt de l’étude réside cependant dans sa forme inédite, qui comparait pour la première fois 7 associations d’antalgiques entre eux (head-to-head comparison), dont des triples associations.
Abstract
BACKGROUND: Head-to-head comparisons of combinations of more than one non-opioid analgesic (NOA) with morphine alone, for postoperative analgesia, are lacking. The objective of this multicentre, randomised, double-blind controlled trial was to compare the morphine-sparing effects of different combinations of three NOAs-paracetamol (P), nefopam (N), and ketoprofen (K)-for postoperative analgesia.
METHODS: Patients from 10 hospitals were randomised to one of eight groups: control (C) received saline as placebo, P, N, K, PN, PK, NK, and PNK. Treatments were given intravenously four times a day during the first 48 h after surgery, and morphine patient-controlled analgesia was used as rescue analgesia. The outcome measures were morphine consumption, pain scores, and morphine-related side-effects evaluated 24 and 48 h after surgery.
RESULTS: Two hundred and thirty-seven patients undergoing a major surgical procedure were included between July 2013 and November 2016. Despite a failure to reach a calculated sample size, 24 h morphine consumption [median (inter-quartile range)] was significantly reduced in the PNK group [5 (1-11) mg] compared with either the C group [27 (11-42) mg; P<0.05] or the N group [21 (12-29) mg; P<0.05]. Results were similar 48 h after surgery. Patients experienced less pain in the PNK group compared with the C, N, and P groups. No difference was observed in the incidence of morphine-related side-effects.
CONCLUSIONS: Combining three NOAs with morphine allows a significant morphine sparing for 48 h after surgery associated with superior analgesia the first 24 h when compared with morphine alone.
CLINICAL TRIAL REGISTRATION: EudraCT: 2012-004219-30; NCT01882530.