Survenue péri opératoire d’accidents vasculaires cérébraux infra-cliniques après chirurgie non cardiaque: étude prospective de cohort (NeuroVISION)
Perioperative covert stroke in patients undergoing non-cardiac surgery (NeuroVISION): a prospective cohort study.
NeuroVISION Investigators.
Lancet (London, England), 21 septembre 2019, volume 394, pages 1022-1029
Commentaire
Par Amélie Cambriel (DESAR) et le Pr Dan Benhamou
Introduction :
Parmi les complications postopératoires significatives, le déclin cognitif post opératoire est actuellement très étudié. Il est connu que dans la population générale, les accidents vasculaires cérébraux (AVC) infra cliniques sont plus fréquents que les AVC cliniques et leur survenue est associée à la survenue d’une démence, d’un ralentissement psychomoteur et d’un déclin cognitif. Ceux-ci majorent également le risque d’AVC clinique futur. Dans la population chirurgicale, le taux d’AVC péri opératoire est de l’ordre de 0,7% et leur survenue est associée à une morbi-mortalité importante. La survenue d’AVC infra clinique et ses conséquences sur le déclin cognitif en péri opératoire n’a elle pas encore été étudiée et est le but de l’étude.
Méthode :
Cette étude de cohorte prospective, multicentrique, internationale a inclus entre 2014 et 2017 des patients issus de 9 centres universitaires de 7 pays : (Canada, Chili, Chine Inde, Malaisie, Nouvelle Zélande, Pérou, Pologne, Etats Unis). Les critères d’inclusion étaient un âge > 64 ans, un contexte de chirurgie programmée sous anesthésie générale ou périmédullaire avec une hospitalisation post opératoire prévue ≥ 2 nuits. Etaient exclus les patients devant bénéficier d’une chirurgie carotidienne ou de neurochirurgie, ceux qui ne pouvaient pas réaliser les tests cognitifs (barrière de langue ou malentendants) et ceux ayant un eu diagnostic d’AVC post opératoire avant d’avoir eu l’IRM du protocole.
Les patients étaient évalués à J-1 et à un an pour les tests cognitifs (MOCA, DSTT, IADL, TMT-B). Une équipe les évaluait également 2 fois par jour pendant les premières 72h à la recherche de la survenue d’un délirium. L’IRM cérébrale était réalisée entre J2 et J9 (celle-ci étant capable d’identifier un AVC dans les 10 jours précédents).
Le critère de jugement principal était la diminution de 2 points du score MOCA par rapport à l’évaluation initiale. Les critères de jugement secondaires étaient la présence d’infarctus cérébral péri opératoire à l’IRM, la présence de délirium dans les 3 jours post opératoires, ainsi que l’évaluation du déclin cognitif basé sur le DSTT et le TMT-B.
Le nombre de sujets nécessaire était de 1100 patients pour détecter le risque de déclin cognitif après AVC infra clinique avec une puissance de 80% et un OR de 2,2.
Résultats
1627 patients ont été évalués, 116 patients ont été exclus (majoritairement refus IRM), 1114 patients ont été inclus dans l’analyse et deux patients ont eu un AVC clinique dans les trois premiers jours post opératoires. L’âge moyen était de 73 ans et plus de 2/3 des patients pouvaient être classés ASA 2-3. Plus de 80 % des actes entraient dans les catégories de chirurgie orthopédique, viscérale ou uro-gynécologique.
L’IRM a montré un AVC infra clinique chez 7 % des patients et dans 13 % de ces cas, les AVC étaient multiples à l’imagerie. Chez 24 % des patients de la cohorte, l’IRM montrait aussi des images d’infarctus anciens.
Il a été constaté un déclin cognitif chez 49% des patients ayant eu un AVC infra clinique per opératoire et chez 29% des patients n’ayant pas eu d’AVC infra clinique (soit un OR : 1,98) (p : 0,055). La survenue de delirium pendant les 3 premiers jours était associée avec la présence d’AVC infra clinique (HR 2,24, p 0,03). Il n’y a pas d’association entre le type d’anesthésie et la survenue d’AVC infra clinique. Très peu de facteurs ont pu être associés à la survenue d’un déclin cognitif prolongé à part l’âge et la chirurgie orthopédique.
Discussion et conclusion
Il s'agit d'une étude robuste avec une large applicabilité. L'analyse des examens et l'évaluation des patients étaient fait en aveugle. Il n'y a pas eu de perdus de vue. L’étude apporte des éléments nouveaux sur une donnée épidémiologique non connue (AVC infra clinique en période péri opératoire), dont les résultats sont cohérents avec le reste de la littérature. Cette étude apporte également un élément nouveau concernant la physiopathologie des troubles cognitifs post opératoires.
Cependant, l’étude n’est pas extrapolable aux patients de moins de 65 ans ou admis pour chirurgie urgente. Il n’existe également pas de groupe contrôle sans chirurgie pour comparer l’évolution à un déclin cognitif spontané.
Le déclin cognitif à 1 an survient dans 30% des cas après une chirurgie non cardiaque chez les patients de plus de 65 ans. Celui-ci survient encore plus fréquemment en présence d’un AVC infra clinique (42%). La présence d’AVC infra clinique semble également favoriser la survenue d’un délirium.
Si l’on accepte l’idée que chez les patients âgés et opérés de chirurgie générale, un AVC postopératoire survient dans près de 10 % des cas (0,1 – 1 % pour les AVC cliniquement parlants et 7 % pour les AVC infra cliniques) et si l’on considère le risque accru de déclin cognitif secondaire à ces AVC, on constate alors qu’il s’agit d’un véritable problème de santé publique et que la recherche pour en réduire l’incidence est prioritaire. Cette étude ne permet en effet pas de déterminer le mécanisme de ces AVC puisqu’il s’agit d’un sujet nouveau et d’une étude descriptive. Des études complémentaires pour mieux en comprendre les causes et proposer des actions préventives sont à mettre en place.
Abstract
BACKGROUND: In non-surgical settings, covert stroke is more common than overt stroke and is associated with cognitive decline. Although overt stroke occurs in less than 1% of adults after non-cardiac surgery and is associated with substantial morbidity, we know little about perioperative covert stroke. Therefore, our primary aim was to investigate the relationship between perioperative covert stroke (ie, an acute brain infarct detected on an MRI after non-cardiac surgery in a patient with no clinical stroke symptoms) and cognitive decline 1 year after surgery.
METHODS: NeuroVISION was a prospective cohort study done in 12 academic centres in nine countries, in which we assessed patients aged 65 years or older who underwent inpatient, elective, non-cardiac surgery and had brain MRI after surgery. Two independent neuroradiology experts, masked to clinical data, assessed each MRI for acute brain infarction. Using multivariable regression, we explored the association between covert stroke and the primary outcome of cognitive decline, defined as a decrease of 2 points or more on the Montreal Cognitive Assessment from preoperative baseline to 1-year follow-up. Patients, health-care providers, and outcome adjudicators were masked to MRI results.
FINDINGS: Between March 24, 2014, and July 21, 2017, of 1114 participants recruited to the study, 78 (7%; 95% CI 6-9) had a perioperative covert stroke. Among the patients who completed the 1-year follow-up, cognitive decline 1 year after surgery occurred in 29 (42%) of 69 participants who had a perioperative covert stroke and in 274 (29%) of 932 participants who did not have a perioperative covert stroke (adjusted odds ratio 1·98, 95% CI 1·22-3·20, absolute risk increase 13%; p=0·0055). Covert stroke was also associated with an increased risk of perioperative delirium (hazard ratio [HR] 2·24, 95% CI 1·06-4·73, absolute risk increase 6%; p=0·030) and overt stroke or transient ischaemic attack at 1-year follow-up (HR 4·13, 1·14-14·99, absolute risk increase 3%; p=0·019).
INTERPRETATION: Perioperative covert stroke is associated with an increased risk of cognitive decline 1 year after non-cardiac surgery, and perioperative covert stroke occurred in one in 14 patients aged 65 years and older undergoing non-cardiac surgery. Research is needed to establish prevention and management strategies for perioperative covert stroke.
FUNDING: Canadian Institutes of Health Research; The Ontario Strategy for Patient Oriented Research support unit; The Ontario Ministry of Health and Long-Term Care; Health and Medical Research Fund, Government of the Hong Kong Special Administrative Region, China; and The Neurological Foundation of New Zealand.