Cas clinique

Une étiologie inhabituelle d'AVC hémorragique

14 février 2019

Il s’agit d’une patiente de 55 ans aux antécédents d’hypertension artérielle récemment diagnostiquée et difficile à équilibrer, et de névralgie cervico-brachiale sous traitement antalgique, prise en charge pour un coma avec un score de Glasgow pré-hospitalier à 7.

La patiente est prise en charge dans le cadre de la grande garde de neurochirurgie où une TDM cérébrale retrouve un hématome intra-parenchymateux pariéto-occipital droit de 54 x 32 x 50 mm associé à une hémorragie tétra-ventriculaire responsable d’une hydrocéphalie débutante (Figure 1). Les séquences injectées ne retrouvent pas d’anévrisme, de thrombophlébite ou de malformation artério-veineuse.

Figure 1 : TDM cérébrale sans injection

La prise en charge neurochirurgicale initiale consiste en la pose d’un capteur de pression intracrânienne objectivant une hypertension intracrânienne (PIC à 26 mmHg), motivant par la suite une intervention pour pose de dérivation ventriculaire externe (DVE) et évacuation de l’hématome intra-parenchymateux.

Le bilan biologique initial retrouve une élévation modeste de la troponine à 26 ng/L (normale < 14 ng/L) associée à une échographie cardiaque retrouvant une hypokinésie globale, pouvant faire évoquer une sidération myocardique dans le contexte d’accident vasculaire cérébral hémorragique.

On identifie par ailleurs une insuffisance rénale aiguë sur le bilan d’entrée, avec une créatininémie à 170 µmol/L, et une urée à 13,5 mmol/L. La kaliémie est à 4,9 mmol/L, le CO2 total à 19 mmol/L. Le bilan hépatique est sans particularités en dehors d’une discrète élévation isolée des gamma-GT à 38 U/L (normale < 36U/L). L’albumine initiale est à 25 g/L, la protidémie à 50 g/L. L’hémostase secondaire est normale, les plaquettes sont à 170 G/L.

L’évolution ultérieure en réanimation est marquée par la présence de deux défaillances d’organe : 

- Respiratoire avec une hypoxémie importante (rapport PaO2/FiO2 < 150 mmHg) en lien avec un œdème aigu pulmonaire et des épanchements pleuraux bilatéraux (Figure 2)

- Rénale oligo-anurique sans dilatation des cavités pyélo-calicielles à l’échographie rénale, mise sur le compte d’une atteinte tubulaire aux produits de contraste.

Figure 2 : Radio Pulmonaire de la patiente à J2

Le traitement symptomatique de ces défaillances consiste en : 

- la pose de deux drains thoraciques, l’un étant compliqué d’une hémoptysie sur plaie pulmonaire nécessitant une prise en charge chirurgicale thoracique pour mise à plat de l’espace pleural par vidéo-thoracoscopie. Les drainages retrouvent des transsudats stériles.

- un remplissage vasculaire initial prudent en raison des épanchements pleuraux et de l’hypoxémie, permettant néanmoins dans un premier temps une évolution favorable de la dysfonction rénale (reprise de la diurèse et stabilisation des chiffres de créatininémie et d’urée sanguine). La fonction rénale s’aggrave dans un deuxième temps, à 10 jours de la prise en charge, nécessitant la mise en place d’une épuration extra-rénale continue par hémofiltration.

L’association d’une hypertension artérielle mal contrôlée, d’épanchements pleuraux trans-sudatifs et d’une insuffisance rénale anurique persistante fait réaliser un bilan immunitaire à la recherche d’une maladie de système.

Celui-ci identifiera un lupus érythémateux disséminé, associant un anticorps anti-nucléaire positif de façon homogène au titre de 1/1280 et un anticorps anti-ADN natif positif à 768 UI/mL (normale < 10 UI/mL). Le reste des anticorps anti-nucléaires solubles est négatif, tout comme les anticorps anti-phospholipides et les anticorps anti-cytoplasme des polynucléaires (ANCA). L’exploration du complément est normale.

L’anamnèse retrouve a posteriori une patiente ayant présenté une dyspnée rapidement progressive sur les quelques jours précédant la survenue du coma.

Une ponction-biopsie rénale identifie une néphrite lupique active, motivant l’initiation d’un traitement par bolus de corticoïdes (1 g par jour pendant 3 jours, relayé par une corticothérapie systémique à la dose de 1 mg/kg) suivi d’un traitement par Endoxan.

L’évolution est par la suite favorable, à la fois sur la récupération neurologique, quasi-complète (persistance d’une HLH gauche à plus d’un an de l’épisode initial), et rénale avec une créatininémie stabilisée autour de 130 µmol/L. L’hypertension artérielle est contrôlée sous trithérapie.

Discussion

L’association entre accidents vasculaires cérébraux et lupus érythémateux est décrite dans la littérature avec des odds-ratio (OR) variant entre 2 et 4 selon le type d’AVC1. Les principaux facteurs favorisants sont une vascularite active qui favoriserait les accidents ischémiques et une hypertension non contrôlée qui favoriserait les accidents vasculaires hémorragiques 2.

Dans le contexte du lupus érythémateux, l’accident vasculaire cérébral est grevé d’une morbi-mortalité importante 1,2.

Devant un accident vasculaire hémorragique chez un patient jeune, hypertendu, il faut savoir garder à l’esprit la possibilité d’une cause secondaire (en dehors de l’hypertension artérielle essentielle), et ce d’autant plus que le tableau initial est accompagné d’atypies comme c’est le cas ici. En effet l’association à des épanchements pleuraux bilatéraux et à une insuffisance rénale aiguë inaugurale, bien que compatible avec un diagnostic initial de sidération myocardique qui n’est pas exceptionnelle dans ce contexte 3,4 doit rapidement faire rechercher une pathologie auto-immune, et ce d’autant plus que ces anomalies persistent dans le temps.

Le lupus érythémateux est une pathologie auto-immune fréquente, touchant préférentiellement la femme jeune5, et dont le diagnostic repose sur des critères cliniques, biologiques, et radiologiques très précis (cf critères ci-dessous).

La ponction-biopsie rénale confirme le diagnostic de néphrite lupique et indique un traitement médical agressif.

L’accident vasculaire cérébral hémorragique reste néanmoins une circonstance de découverte inaugurale exceptionnelle de cette pathologie.

Critères de classification du lupus érythémateux systémique selon le SLICC (adapté de Petri et al. Arthritis Rheum 2012)

Critères cliniques 

1. Lupus cutané aigu (incluant au moins l’un des critères suivants) :

- Érythème malaire (ne compte pas si lupus discoïde),

- Lupus bulleux,

- Nécrolyse toxique épidermique lupique,

- Éruption maculo-papuleuse lupique,

- Éruption lupique photosensible en l’absence de dermatomyosite,

ou Lupus cutané subaigu (lésions psoriasiformes ou polycycliques non indurées résolutives sans cicatrices, ou parfois avec une dépigmentation post-inflammatoire ou des télangiectasies).

2. Lupus cutané chronique (incluant au moins l’un des critères suivants) :

- Lupus discoïde classique localisé (au-dessus du cou) ou généralisé (au-dessus et en dessous du cou),

- Lupus hypertrophique ou verruqueux,

- Panniculite lupique ou lupus cutané profundus,

- Lupus chronique muqueux,

- Lupus tumidus,

- Lupus engelure,

- Forme frontière lupus discoïde / lichen plan.

3. Ulcères buccaux : Palatins, Bouche, Langue,

ou Ulcérations nasales en l’absence d’autre cause telle que vascularite, maladie de Behcet, infection (herpès virus), maladie inflammatoire chronique intestinale, arthrite réactionnelle et acides.

4. Alopécie non cicatricielle (éclaircissement diffus de la chevelure ou fragilité capillaire avec mise en évidence de cheveux cassés) en l’absence d’autres causes comme une pelade, des médicaments, une carence martiale et une alopécie androgénique.

5. Synovite impliquant plus de deux articulations, caractérisée par un gonflement ou un épanchement,

OU Arthralgies de plus de 2 articulations avec dérouillage matinal de plus de 30 minutes.

6. Sérites

- Pleurésie typique > 24 h, ou Épanchement pleural, ou Frottement pleural,

- Douleur péricardique typique (aggravée par le décubitus et améliorée en antéflexion) > 24 h,ou Épanchement péricardique, ou Frottement péricardique, ou Signes électriques de péricardite en l’absence d’autre cause telle qu’une infection, une insuffisance rénale ou un syndrome de Dressler.

7. Atteinte rénale : Rapport protéinurie / créatinine urinaire (ou protéinurie des 24 h) représentant une protéinurie > 500 mg/24 h (la bandelette urinaire est supprimée)

ou Cylindres hématiques.

8. Atteinte neurologique : Convulsions, Psychose, Mononévrite multiple en l’absence d’autre cause connue comme une vascularite primitive,

Critères immunologiques 

1. Titre d’anticorps antinucléaires supérieurs à la norme du laboratoire.

2. Anticorps anti-ADN natif supérieurs à la norme du laboratoire (> 2 fois la dilution de référence si test ELISA).

3. Présence d’un anticorps dirigé contre l’antigène Sm.

4. Anticorps antiphospholipides positifs déterminés par :

- Présence d’un anticoagulant circulant,

- Sérologie syphilitique faussement positive,

- Anticorps anticardiolipine (IgA, IgG, or IgM) à un titre moyen ou fort,

- Anticorps anti- ß2-glycoprotéine1 (IgA, IgG, or IgM).

5. Diminution du complément : C3, C4, CH50

6. Test de Coombs direct positif (en l’absence d’anémie hémolytique).

La présence d’au moins 4 critères, dont au moins 1 critère clinique et 1 critère biologique ou une histologie de glomérulonéphrite lupique avec des AAN et/ou des anticorps anti-DNA natifs permet d’affirmer l’existence d’un Lupus Systémique avec une sensibilité de 94% et une spécificité de 92%.


Bibliographie

1.  Holmqvist M, Simard JF, Asplund K, Arkema EV: Stroke in systemic lupus erythematosus: a meta-analysis of population-based cohort studies. RMD Open 2015

2. Cavallaro M, Barbaro U, Caragliano A : Stroke and Systemic Lupus Erythematosus: A Review. EMJ Rheumatol. 2018;5[1]:100-107.

3.  Murthy SB, Shah S, Venkatasubba Rao CP, Suarez JI, Bershad EM: Clinical characteristics of myocardial stunning in acute stroke. J Clin Neurosci Off J Neurosurg Soc Australas 2014; 21:1279–82

4.  Biso S, Wongrakpanich S, Agrawal A, Yadlapati S, Kishlyansky M, Figueredo V: A Review of Neurogenic Stunned Myocardium. Cardiovasc Psychiatry Neurol 2017; 2017

5.  Kaul A, Gordon C, Crow MK, Touma Z, Urowitz MB, Vollenhoven R van, Ruiz-Irastorza G, Hughes G: Systemic lupus erythematosus. Nat Rev Dis Primer 2016; 2:16039