Cas clinique

Ventriculite après pose de Dérivation Ventriculaire Externe (DVE)

21 janvier 2018

Il s’agit d’une patiente de 75 ans, ayant comme principaux antécédents une HTA, un diabète de type II non-insulinorequérant et une AC/FA. Son traitement à l’entrée consiste en du bisoprolol, du ramipril, de la metformine et de la coumadine.

L’histoire commence par l’apparition brutale d’un malaise suivi d’une dysarthrie, d’une paralysie faciale gauche, et d’une hémiparésie gauche. Le score de Glasgow (CGS) est à 14, la pression artérielle est à 185/110 mmHg. Le scanner cérébral met en évidence un AVC hémorragique capsulo-thalamique droit avec une rupture intra-ventriculaire (images 1 et 2).

Les ventricules cérébraux sont modérément dilatés. Le score de Glasgow se détériore et passe à 6 (Y3, V2, M1). La patiente est alors intubée, les AVK sont antagonisés par l’administration de 50 UI/kg de CCP associée à une dose de 10 mg de vitamine K en IV lent. La patiente passe ensuite au bloc pour pose d’une Dérivation Ventriculaire Externe (DVE).

L’hospitalisation en réanimation est marquée par une évolution neurologique médiocre (CGS 7). Le scanner de contrôle montre une DVE en place dans la corne frontale droite avec un drainage correct (image 3).

Les antibiotiques sont introduits pour traiter 2 pneumopathies sucessives : la première à Haemophillus influenza et Staphylococcus aureus, la seconde à Klebsiella pneumoniae sauvage. Ces deux pneumopathies vont chacune être traitée par 7 j d’amoxicilline-clavulanate. Il faut noter qu’on retrouvait un Pseudomonas aeruginosa à taux non significatif dans le prélèvement pulmonaire de la deuxième pneumopathie.

La suite de la prise en charge est compliquée par l’apparition d’une méningite nosocomiale à J20. Il est constaté dans un premier temps un orifice cutané de DVE inflammatoire puis purulent, qui va conduire à l’ablation de la DVE. Apparition en 24 h d’une fuite de LCR au niveau du point d’entrée de l’ancienne DVE ; le scanner cérébral retrouve une hydrocéphalie qui va conduire à la mise en place d’une nouvelle DVE. 

Le LCR est trouble et l’analyse biochimique met en évidence une glycorrachie à 0,4 mM, une protéinorrachie à 2,28 g/l et un taux de lactates à 15 mM. L’examen direct montre des BGN et la culture mettra en évidence un Pseudomonas aeruginosa résistant à la ceftazidime (cf antibiogramme).

L’antibiothérapie empirique initiale par céfotaxime 2 g x 6 IVD est modifiée pour du méropénème à la dose de 1,5 g x 4 / j IVSE en continu (CMI pour le méropénème à 0,125 mg/l).

 Le contrôle du LCR par la DVE à J2 de traitement efficace par méropénème retrouve à nouveau des BGN à l’examen direct et un P. aeruginosa à la culture sans modification de l’antibiogramme. Les dosages du méropénème dans le sang (40 mg/l) et dans le LCR (12 mg/l) sont satisfaisant avec un taux de méropénème dans le LCR à quasi 10 fois la CMI. Devant l’échec de l’antibiothérapie parentérale, il est décidé de faire 3 jours successifs d’aminoside par la DVE : injection de 20 mg de tobramycine par jour intraventriculaire en laissant la DVE clampée 30 minutes. Tous les prélèvements ultérieurs de LCR seront stériles.

L’évolution clinique est pauvre avec un CGS qui varie entre 5 et 7, il n’y a pas d’HTIC. Le scanner cérébral avec injection montre un « dépôt » de pus déclive au niveau des cornes occipitales, non drainé par la DVE. Il y a une prise de contraste épendymaire témoignant de l’inflammation importante (image 4).

À J30 d’évolution (et J8 du traitement de la méningite), dégradation neurologique assez rapide avec mydriase aréactive uni puis bilatérale, issue de pus dans le réservoir de la DVE (image 5), oedème cérébral diffus au scanner, l’ensemble aboutissant au décès de la patiente.

Éléments de discussion :

  • La gestion d’une DVE fait partie des soins spécifiques d’une réanimation neurochirurgicale. Cette « porte ouverte » sur le cerveau est à haut risque d’infection : le taux d’infection post-opératoire en neurochirurgie varie entre 0,5 et 6% mais jusqu’à 1/3 de ces infections est représenté par une méningite sur DVE [1]. Le taux d’incidence varie entre 2 et 6 infections pour 1000 jours/cathéter. Diminuer l’incidence des méningites sur DVE demande une rigueur importante à chaque étape de la prise en charge. Ces étapes ont été détaillées dans une revue du NEJM en 2010 [2]. L’auteur insiste sur la nécessité de respecter une asepsie draconienne en per et post-opératoire avec des protocoles de soins devant être régulièrement évalués [3]. Les facteurs de risque de méningite sur DVE sont un non respect des protocoles de soins, une fuite de LCR, une manipulation de la DVE (injection, irrigation). La durée de maintien du cathéter de DVE n’est pas toujours retrouvée comme facteur associé à une méningite.
  • Le diagnostic de méningite sur DVE n’est pas toujours simple : les critères classiques (hypoglycorrachie, hyperprotéinorrachie) ne sont pas pertinents dans ce contexte de contamination sanguine du LCR (post-opératoire, hémorragie méningée…). Un des moyens d’affiner le diagnostic est de doser le taux de lactates dans le LCR : la production de lactate est augmentée dans le tissu cérébral et le LCR par le biais de la stimulation d’une navette lactate entre l’astrocyte et le neurone ; le lactate va ainsi servir de substrat énergétique aux neurones agressés [4]. Le dosage de lactate est utile pour discriminer en communautaire les méningites virales des méningites bactériennes (un taux inférieur à 3,5 mM élimine la méningite bactérienne). Il n’y a pas de consensus sur le taux à retenir pour les méningites nosocomiales : il y aurait une bonne VPN (95%) pour une valeur inférieure à 3,5-4 mM et une VPP de 70% pour une valeur supérieure à 4-6 mM [5].
  • L’antibiothérapie des méningites nosocomiales n’est pas toujours simple, beaucoup d’antibiotiques ne passant pas ou mal la barrière hémato-encéphalique. Le méropénème est un bon choix pour le traitement des entérobactéries du groupe III, pour les entérobactéries BLSE et pour le bacille pyocyanique. Il est mieux toléré à fortes doses que l’imipénème (moins de risques de crises convulsives) et doit être administré après un bolus de 1 g à la dose de 6 g / j SE sans dépasser une durée de seringue électrique de 6 h [6]. La durée de traitement est de 10 à 15 j après le dernier prélèvement de LCR positif. L’administration d’antibiotiques intra ventriculaire n’est pas codifiée et s’envisage en cas d’échec du traitement parentéral. Les molécules possibles et leur posologie sont détaillées dans le tableau ci-dessous.



  • La présence de pus intraventriculaire est toujours un facteur pronostic péjoratif. C’est l’équivalent de la rupture d’un abcès cérébral dans les ventricules (acronyme anglais IVROBA : Intra Ventricular Rupture Of Brain Abscess). On ne sait pas comment correctement prendre en charge cette situation : la DVE draine le surnageant des ventricules et pas le pus qui est déclive, très épais et qui stagne au niveau des cornes occipitales. La chirurgie est délabrante et peu efficace. L’antibiothérapie permet au mieux de stériliser le LCR mais sans aucune efficacité évidemment sur le nettoyage des ventricules. La littérature est peu abondante mais on retrouve à chaque fois la nécessité d'un traitement chirurgical "agressif" : DVE et/ou ouverture des ventricules pour les nettoyer, et administration rapide d'antibiotiques intraventriculaire [7]. On pourrait discuter l’intérêt des corticoïdes à la phase précoce pour diminuer l’inflammation intra ventriculaire mais cela n’a été envisagé pour l’instant dans aucune étude.

Références

[1] Efficacy of prophylactic antibiotics against meningitis after craniotomy: a meta-analysis. Barker FG 2nd. Neurosurgery. 2007 May;60(5):887-94; discussion 887-94.

[2] Nosocomial bacterial meningitis. Van de Beek D, Drake JM, Tunkel AR. N Engl J Med. 2010 Jan 14;362(2):146-54

[3] Protocole de prise en charge para-médicale d'une DVE en réanimation chirurgicale à Bicêtre

[4] Lactate Shuttles in Neuroenergetics-Homeostasis, Allostasis and Beyond. Mason S. Front Neurosci. 2017 Feb 2;11:43

[5] The diagnostic value of cerebrospinal fluids procalcitonin and lactate for the differential diagnosis of post-neurosurgical bacterial meningitis and aseptic meningitis. Li Y, Zhang G, Ma R, Du Y, Zhang L, Li F, Fang F, Lv H, Wang Q, Zhang Y, Kang X. Clin Biochem. 2015 Jan;48(1-2):50-4

[6] Les infections neuro-méningées nosocomiales. Présentation du Pr L. Velly congrès de l'ANARLF 2014

[7] Spontaneous intraventricular rupture of pyogenic brain abscess: A short series of three cases and review of literature. Savardekar AR, Krishna R, Arivazhagan A. Surg Neurol Int. 2016 Dec 5;7(Suppl 39):S947-S951