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Étude randomisée monocentrique en double aveugle comparant la prilocaïne 2% hyperbare et la bupivacaïne 0,5% hyperbare pour la rachianesthésie en césarienne programmée

Hyperbaric prilocaine vs. hyperbaric bupivacaine for spinal anaesthesia in women undergoing elective caesarean section: a comparative randomised double-blind study.

Chapron K, Sleth JC, Capdevila X, Bringuier S, Dadure C

Anaesthesia, mai 2021, volume 76, pages 777-784

Commentaire, Abstract

Commentaire

Par Timothée AYASSE (DESAR), Pr Dan BENHAMOU

Introduction 

La césarienne programmée sous rachianesthésie est un acte fréquent. L’anesthésique local de référence est la bupivacaïne hyperbare 0,5%. Elle possède un délai d’action court avec l’apparition d’un niveau sensitif supérieur (NSS) maximal atteint  à 15 min et un bloc moteur maximal à 6 min environ. Cependant, elle présente une grande variabilité interindividuelle concernant la durée du bloc moteur pouvant parfois être prolongé. La loi française impose une surveillance post-césarienne en SSPI d’au moins 2h et en général, les équipes autorisent cette sortie lorsque le bloc moteur est levé. Un bloc moteur prolongé peut donc allonger la durée de séjour en SSPI avec un impact organisationnel et médico-économique réel.

La prilocaïne est un anesthésique local de la série des amides utilisé couramment pour les rachianesthésies en chirurgie ambulatoire non obstétricale. Elle possède l’avantage d’entraîner une durée de bloc moteur plus prévisible et plus courte. Cependant, il n’existe aucune expérience précise en obstétrique avec ce produit.

Cette étude compare ces deux anesthésiques locaux en association au sufentanil et à la morphine pour rachianesthésie au cours de césariennes programmées. L’objectif principal est de comparer la durée du bloc moteur dans chaque groupe.

Matériels et méthodes 

Il s’agit d’une étude monocentrique randomisée prospective en double aveugle. incluant des césariennes programmées. N’ont pas été incluses les parturientes mineures, de taille < 1m55 ou > 1m75 ou désirant allaiter. Une étude de faisabilité avait été réalisée par la même équipe et avait permis de déterminer que a dose de prilocaïne à utiliser était de 60 mg et de montrer que la différence de durée de bloc moteur cliniquement pertinente de 30 minutes (180 min).Dans l’étude actuelle :

-       le groupe 1 recevait 60 mg prilocaïne hyperbare 2% + sufentanil 2,5 µg + morphine 100 µg

-       le groupe 2 : 12,5 mg bupivacaïne hyperbare 0,5% + sufentanil 2,5 µg + morphine 100 µg

L’évaluation du critère de jugement principal était réalisée par le score de Bromage allant de 1 (pas de mobilité) à 4 (motricité normale). Le bloc moteur était dit « levé » lorsque ce score était égal à 4. 

Les critères de jugement secondaires étaient la qualité de l’analgésie péri-opératoire, le délai d’analgésie, les effets indésirables, la durée de séjour en SSPI et la satisfaction obstétricienne et maternelle sur une échelle de 0 à 10. 

Résultats 

50 patients ont été incluses (25 dans chaque groupe). Les caractéristiques initiales étaient balancées équitablement avec des patientes essentiellement ASA 1 (96%). 

Une différence significative (p<0,001) était retrouvée pour la durée du bloc moteur, plus courte dans le groupe prilocaïne, médiane 158 min vs 220 min dans le groupe bupivacaïne. La dispersion et la variation interindividuelle sont moins importantes dans le groupe prilocaïne. Il existait une diminution significative de la durée de séjour en SSPI (135 min vs 180 min, p = 0,009) en faveur du groupe prilocaïne.

L’ensemble des autres critères de jugement secondaires n’étaient pas significativement différents.

Discussion

Il s’agit donc d’une étude randomisée monocentrique en double aveugle démontrant une efficacité anesthésique satisfaisante et une réduction significative de la durée du bloc moteur dans le groupe prilocaïne. Cette réduction de la durée du bloc moteur a permis une réduction durée de séjour en SSPI. Aucune différence de tolérance ou de délai d’action n’ont été observées.

Plusieurs points de discussion sont malgré tout à relever dans cette étude. 

Premièrement, il s’agit d’une étude de faible effectif. 

Les doses respectives sont discutables avec :

-       Bupivacaïne : dose utilisée supérieure à la DE95 (11,2 mg) avec un potentiel impact sur le résultat de l’étude du fait d’un effet dose de la durée du bloc moteur. Des données de la littérature montrent en effet que pour 10 mg la durée du bloc moteur est de 148 ± 76 min. 

-       Prilocaïne : il existe peu de données concernant le choix des doses et la DE95. Le choix a été fait selon l’étude de faisabilité et la dose arbitrairement choisie à 60 mg. 

Ensuite, concernant la tolérance, il existe peu de données sur la toxicité maternelle et néonatale de la prilocaïne. La dose toxique décrite pour les sujets sains est de 5 mg/kg en cas d’administration intraveineuse. La toxicité principale est celle du risque de méthémoglobinémie du fait de l’accumulation d’ortho-toluidine, métabolite de la prilocaïne. Le passage transplacentaire de la prilocaïne est décrit comme faible dans la littérature. Il existe également peu de données concernant la sécurité de l’allaitement conduisant, par principe de précaution, à la non inclusion des femmes ayant un projet d’allaitement. 

Il semble néanmoins peu probable que les doses utilisées (60 mg) soient toxiques tant pour la mère que pour le nouveau-né.

L’évaluation du critère de jugement principal par le score de Bromage peut être critiquable pour plusieurs raisons :

-       La plupart des études définissent la levée du bloc moteur lorsque le score est égal à 3.

-       L’utilisation actuelle plus courante d’un score de Bromage modifié plus sensible (6 classes au lieu de 4) permet de mettre en évidence certains déficits moteurs non décelés par le score initialement décrit.

Du fait des doses utilisées et de l’utilisation d’un score moins sensible, le groupe prilocaïne a pu être favorisé dans cette étude (certains déficits moteurs réels non mis en évidence) et le groupe bupivacaïne désavantagé (dose élevée, critère de levée du bloc moteur).

Certaines données pharmacologiques (la DE95 de la prilocaïne, son passage transplacentaire et la sécurité de l’allaitement notamment), de même qu’une étude de plus grand effectif sont nécessaires pour confirmer les résultats encourageants retrouvés.

Abstract

Hyperbaric bupivacaine spinal anaesthesia remains the gold standard for elective caesarean section, but the resultant clinical effects can be unpredictable. Hyperbaric prilocaine induces shorter motor block but has not previously been studied in the obstetric spinal anaesthesia setting. We aimed to compare duration of motor block after spinal anaesthesia with prilocaine or bupivacaine during elective caesarean section. In this prospective randomised, double-blind study, women with uncomplicated pregnancy undergoing elective caesarean section were eligible for inclusion. Exclusion criteria included: patients aged < 18 years; height < 155 cm or > 175 cm; a desire to breastfeed; or a contra-indication to spinal anaesthesia. Patients were randomly allocated to two groups: the prilocaine group underwent spinal anaesthesia with 60 mg intrathecal prilocaine; and the bupivacaine group received 12.5 mg intrathecal heavy bupivacaine. Both 2.5 µg sufentanil and 100 µg morphine were added to the local anaesthetic agent in both groups. The primary outcome was duration of motor block, which was assessed every 15 min after arriving in the post-anaesthetic care unit. Maternal haemodynamics, APGAR scores, pain scores, patient satisfaction and side-effects were recorded. Fifty patients were included, with 25 randomly allocated to each group. Median (IQR [range]) motor block duration was significantly shorter in the prilocaine group, 158 (125-188 [95-249]) vs. 220 (189-250 [89-302]) min, p < 0.001. Median length of stay in the post-anaesthetic care unit was significantly shorter in the prilocaine group, 135 (120-180 [120-230]) vs. 180 (150-195 [120-240]) min, p = 0.009. There was no difference between groups for: maternal intra-operative hypotension; APGAR score; umbilical cord blood pH; maternal postoperative pain; and patients' or obstetricians' satisfaction. We conclude that hyperbaric prilocaine induces a shorter and more reliable motor block than hyperbaric bupivacaine for women with uncomplicated pregnancy undergoing elective caesarean section.

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