Cas clinique

Hypoxémie postopératoire

29 janvier 2018

Patiente de 67 ans hospitalisée pour une annexectomie programmée sous coelioscopie pour exérèse d’une masse latéro-utérine gauche (pouvant correspondre à un myome).

Elle présente comme antécédents principaux :

  • une BPCO post tabagique (tabagisme à 40 PA toujours actif) : SpO2 98% en air ambiant. Son traitement habituel comprend du salbutamol (Ventoline®) en inhalation si besoin
  • L’ECG révèle un rythme sinusal, avec un axe normal, une onde Q de V1 à V3. L’ETT et la scintigraphie myocardique préopératoire sont normales.
  • La patiente a eu plusieurs anesthésies générales sans évènement notable.

Anesthésie générale avec intubation sans aucun événement notable anesthésique et chirurgical peropératoire. Extubation en salle d’intervention.

En SSPI, désaturation jusqu’à 80% en air ambiant et impossibilité du sevrage de l’O2 nasal (3L/min) malgré une très bonne tolérance clinique. La fréquence respiratoire est à 10 par minute. Murmure vésiculaire normal aux sommets mais absent aux bases. Pas de crépitants et pas de fièvre. Séance de VNI (1 heure) avec installation en position demi-assise sans réponse durable. Kinésithérapie incitative : aucune amélioration. Devant quelques sibilants aux sommets, réalisation d’aérosols de terbutaline/ipratropium (Bricanyl®/Atrovent®) sans efficacité notable.

Radio de thorax postopératoire : pas de foyer infectieux ou d’inhalation mais identification d’une masse apicale droite.

Figure 1: Radiographie thoracique postopératoire

Gaz du sang

Devant ces examens complémentaires et la présence d’une douleur basithoracique droite, un angioscanner thoracique est réalisé et ne met pas en évidence d’embolie pulmonaire.

Figure 2 : Scanner thoracique (masse suspecte antéro-apicale droite)

Maintien en SSPI pour la nuit. A J1 post-opératoire, l’avis pneumologique préconise l’introduction de fluticazone (Sérétide®). Une hospitalisation en HDJ sera également réalisée 15 jours plus tard pour l’exploration de la masse thoracique suspecte. La kinésithérapie et la VNI permettent de franches expectorations mais l’oxygéno-dépendance persiste à 2 L/min. Après 24 h de traitement, un gaz du sang de contrôle montre une légère amélioration de l’hypoxémie (voir tableau). Transfert en gynécologie sous 2 L/min d’O2.

À J2 post-opératoire, l’évolution clinique est marquée par un sevrage de l’oxygénothérapie et une sortie à domicile.

Comment interprétez-vous l’hypoxémie chez cette patiente ?

Rappelons les 5 syndromes gazométriques :

  • Syndrome d’hypoventilation alvéolaire : il associe hypoxémie et hypercapnie. L’hypoventilation peut être homogène ou inhomogène. Homogène lors des atteintes de la fonction pompe (pathologies neuromusculaires/intoxication aux psychotropes), la ventilation minute est diminuée. Inhomogènes lors d’associations à des degrés divers d’effet shunt et d’effet espace mort. L’hypoxémie est corrigée par l’O2 mais cette dernière peut aggraver l’hypercapnie si le débit est élevé.
  • Le shunt vrai : schématiquement il s’agit d’un circuit court avec un shunt droit-gauche. Le sang veineux « désoxygéné » passe directement dans la circulation artérielle sans passer par la circulation pulmonaire ou à travers un territoire pulmonaire totalement non ventilé : cas du foramen ovale perméable, des malformations artérioveineuses pulmonaires (shunts vrais anatomiques) ou des atteintes pulmonaires graves avec collapsus alvéolaire complet dans le syndrome de détresse respiratoire aigue de l’adulte (shunt vrai fonctionnel). Dans ce cas de figure, l’hypoxémie n’est pas corrigée par l’apport d’O2.
  • L’effet shunt : il traduit une inadéquation des échanges gazeux avec un rapport ventilation/perfusion abaissé (< 1) : création de zones dans lesquelles la perfusion est normale mais la ventilation est altérée. Il existe alors une hyperventilation (hypocapnie) pour augmenter l’apport d’O2. Les Gaz du sang montrent une PaO2+PaCO2 comprise entre 100 et 120 mmHg. L’effet shunt est retrouvé dans les bronchites chroniques inflammatoires comme l’asthme ou la BPCO, lors d’atélectasies, d’épanchements pleuraux, de condensation parenchymateuse (pneumopathie), d’oedème pulmonaire. L’hypoxémie est corrigée par l’apport d’O2.
  • Le trouble de la diffusion alvéolo-capillaire : il existe des anomalies du parenchyme pulmonaire (pneumopathies interstitielles diffuses) entrainant l’altération du transfert de l’O2. Il apparaît alors une hyperventilation (hypocapnie) compensatrice. Les EFR retrouvent une diminution de la DLCO.
  • L’effet basse PvO2 : la diminution de la saturation en oxygène du sang veineux mêlé est la conséquence d’une extraction tissulaire en O2 très importante, le plus souvent secondaire à une baisse du débit cardiaque (état de choc) conduisant à une réduction du transport artériel en O2. Les autres causes potentielles de baisse du transport en O2 sont l’anémie profonde et l’augmentation extrême de la consommation d’oxygène (stress, douleur, fièvre,...). L’effet basse PvO2 n’est responsable d’hypoxémie qu’en association avec un shunt vrai ou un effet shunt (il doit y avoir une limitation de la capacité du poumon à compenser la baisse du transport en O2).

Chez notre patiente, la cause la plus probable de l’hypoxémie est une combinaison d’une hypoventilation alvéolaire et d’un effet-shunt secondaire à la création per et postopératoire d’atélectasies de bases. L’hypoventilation peut avoir été expliquée par les effets résiduels de l’anesthésie (mais très temporaire : le gaz du sang montre une hypercapnie à H1 postop mais pas à J1). L’effet shunt est agravé par des antécédents de tabagisme important avec une altération parenchymateuse préalable (voir l’image du scanner thoracique montrant un certain degré de raréfaction du parenchyme).

L’évolution favorable dans ce cas est expliquée par :

·     outre les actions thérapeutiques (VNI, kinésithérapie, bronchodilatateurs, O2)

·     le fait que l’atteinte respiratoire préopératoire n’était pas extrême (réserve pulmonaire suffisante comme en atteste le fait qu’elle avait une capacité fonctionnelle peu altérée en préopératoire)

·     le fait qu’il s’agit d’une intervention par coelioscopie (qui minore les effets de la chirurgie abdominale sur la mécanique pulmonaire par rapport à une laparotomie).

·     le fait qu’il s’agit d’une chirurgie pelvienne qui est associée à une dysfonction respiratoire postopératoire moindre qu’avec une chirurgie sus-mésocolique.

Indication des examens pré-opératoires de la fonction respiratoire (1)

Dans ce cas clinique, il aurait été pertinent de prescrire une radio de thorax. Rappelons qu’il n’est pas recommandé de prescrire de manière systématique une radiographie thoracique avant une chirurgie non cardio-thoracique et ce quel que soit l’âge, sauf en cas de pathologie pulmonaire évolutive ou aiguë. Il est intéressant de noter d’une façon générale que les médecins sur-prescrivent souvent (prescription d’examens inutiles) mais que la « sous-prescription » peut également être présente. La recommandation est la même pour la réalisation des gaz du sang et des EFR.

Plus particulièrement, la réalisation d’EFR n’était pas justifiée chez cette patiente puisqu’elle était déjà traitée par bronchodilatateur, suggérant qu’une exploration avait préalablement démontré une part de réversibilité. Surtout les résultats des EFR ne sont pas prédictifs du risque de complication respiratoire, même lorsque les valeurs sont très altérées et ne prédisent notamment pas le risque de difficulté d’extubation. Notons qu’en cas de doute, la réalisation en consultation d’une mesure du Peak Flow (débit de pointe) donne une approximation de très bonne qualité.

Il semble aussi important de rappeler que les examens demandés… doivent être vus !!

(1) Recommandations Formalisées d'Experts : Examens préinterventionnels systématiques. S. Molliex, S. Pierre, C. Bléry, E. Marret , H. Beloeil. Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 31 (2012) 752–763